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dont Colbert avait fait la fortune, s’était mis depuis dans les intérêts de Louvois, et celui-ci l’aurait récompensé en lui faisant donner l’affaire des poisons, qui, de son propre aveu, lui causa les plus grands ennuis. Outré de cette ingratitude, Seignelay résolut de lui ôter les affaires des protestans pour les confier au lieutenant civil Le Camus, son adversaire déclaré, et Louis XIV approuva la substitution. Écoutons maintenant le marquis de Sourches.


« M. de Harlay, dit-il, procureur-général du parlement de Paris[1], ennemi mortel de M. Le Camus, ne put souffrir cette préférence. Il vint trouver M. de Louvois, avec lequel il avoit de grandes liaisons, lui représenta le tort que l’on faisoit à M. de La Reynie parce qu’il étoit attaché à ses intérêts, et que M. de Seignelay triomphoit et mettoit M. Le Camus sur le pinacle. M. de Louvois convint avec lui de faire son possible pour détrôner M. Le Camus, et en même temps M. le procureur-général alla trouver le roi, et lui insinua adroitement, entre beaucoup d’autres choses, que c’étoit faire un tort signalé à M. de La Reynie que de lui ôter la commission des huguenots, qui étoit un véritable fait de police, et qu’assurément il s’en acquitteroit pour le moins aussi bien que M. Le Camus. Comme ils en raisonnoient encore. M, de Louvois, qui avoit donné rendez-vous chez le roi à M. le procureur-général, entra dans le cabinet, et, se mêlant dans la conversation, appuya le sentiment de M. le procureur-général si fortement que le roi, sur-le-champ, lui fit expédier un ordre par lequel il attribuoit la connoissance des affaires des huguenots à M. de La Reynie, avec défense à M. Le Camus de s’en mêler à l’avenir. »


Le tour était joué. C’est ainsi que, par amour-propre et pour ne pas se laisser amoindrir, La Reynie se trouva chargé des conversions et abjurations dans Paris. Un volumineux recueil[2] contenant, avec de nombreux rapports de police, des lettres de Harlay, de Pellisson et de Besmaux, gouverneur de la Bastille, une prodigieuse quantité d’actes de foi et bien d’autres pièces, prouve la part beaucoup trop grande que La Reynie prit à ces malheureuses affaires. Il prouve en outre que, si la passion contre les religionnaires était ardente chez les agens du gouvernement, elle l’était plus encore dans les masses. Le fanatisme qui avait armé leurs bras cent ans auparavant subsistait encore, quoique affaibli, et le pouvoir, si violent qu’il fut, était plus modéré que la multitude; il est vrai qu’il n’avait pas les mêmes excuses. Un rapport de police du 28 septembre 1682 jette sur ces dispositions de la population parisienne une triste lumière. Le garçon d’un marchand de vin du faubourg Saint--

  1. Il ne fut nommé premier président qu’en 1689.
  2. Bibliothèque impériale, lîlss. S. F., 7,659). Révocation de l’édit de Nantes, 6 volumes in-folio. Ces manuscrits, également désignés sous le nom de « Papiers de La Reynie, » sont exclusivement relatifs aux affaires de religion.