Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cour des aides de Montpellier; nommé ensuite receveur des tailles au Puy, il avait été chargé d’accompagner des fonds que les états de Languedoc envoyaient à Paris. Une fois dans la capitale, il dissipa cet argent, passa prudemment en Flandre, et fut condamné par contumace à la peine de mort[1]. Trois mois après, le 20 avril 1674, cet intrigant concluait avec le prince d’Orange un traité où il lui promettait de faire soulever quatre grandes provinces. Un autre traité, signé à Madrid le 23 juillet suivant, portait que ces provinces étaient écrasées d’impôts, que le gouvernement français avait supprimé les états de Guienne et du Dauphiné, énervé ceux de Provence et de Languedoc, réduit tous les parlemens au silence, et que les habitans, représentés par diverses personnes avaient résolu de demander la convocation des états-généraux dans une ville libre. Le roi d’Espagne accordait en retour au comte de Sardan une pension annuelle de cent mille livres pour frais de premier soulèvement, un million pour chacune des années suivantes, et cent mille livres à un habitant de Bordeaux qui aiderait à s’emparer d’une place forte dans la province. Si les confédérés parvenaient à former un état particulier ou une république, le roi d’Espagne devait leur continuer sa protection, comme les rois de France avaient fait, disait le traité, à l’égard des états de Hollande, sous des prétextes moins justes. Enfin le prétendu comte de Sardan s’obligeait, en qualité de syndic général des confédérés du Languedoc et député de la confédération, à susciter sans délai, dans les montagnes des Cévennes et du Vivarais, un soulèvement de douze mille hommes pour surprendre les postes de la rivière du Rhône et des autres places de la province et des provinces voisines.

Par un hasard étrange, cette chimérique conspiration coïncida, et c’est sans doute ce qui donna tant de confiance au gouvernement espagnol, avec celle du chevalier de Rohan. D’une des plus illustres familles du royaume, admis dans sa jeunesse aux jeux de Louis XIV, objet des faveurs des plus belles et des plus grandes dames, parmi lesquelles on nommait la duchesse de Mazarin, qu’il avait le premier enlevée à son mari, l’électrice de Bavière, et, s’il faut s’en rapporter aux bruits du temps. Mme de Thianges et jusqu’à Mme de Montespan, Louis de Rohan s’était fait comme à plaisir, par sa hauteur et ses dédains, des ennemis nombreux, implacables, en tête des-

  1. Dans une supplique au parlement de Marie Vosser, veuve du sieur de Saint-Laurent, ancien receveur-général du clergé, il est question d’un nommé Paul Sardan, ancien receveur des tailles en Languedoc, qui, de 1667 à 1670, aurait été lié avec Godin de Sainte-Croix, amant de la marquise de Brinvilliers, et Reich de Penautier, receveur-général du clergé, compromis dans l’affaire de la Brinvilliers. Ce Sardan ne serait-il pas l’intrigant dont le prince d’Orange et le roi d’Espagne furent les dupes?