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ple. » Singulier exemple en vérité, puisque, vers la même époque (juin 1694), le setier de blé se vendit 57 livres! C’est aussi à cette époque que le prévôt de Paris et le lieutenant-général furent invités à poursuivre ceux qui, « par de faux bruits et des discours séditieux, avoient, la veille d’une récolte abondante, fait renchérir considérablement le blé à Paris et dans les marchés voisins. » Quelques jours après, six commissaires au Châtelet se transportaient dans les provinces pour faire venir des blés à Paris et informer contre ceux qui en causaient la cherté. Suivant Delamare, qui visita la Bourgogne et la Champagne, ils trouvèrent partout, dans les fermes comme dans les villes, des blés vieux de plusieurs récoltes, qu’ils firent porter aux marchés les plus proches, où ils rétablirent ainsi l’abondance. Disait-il la vérité? Ne pliait-il pas les faits dans le sens de ses préjugés? Une lettre de La Reynie (23 juillet 1694) prouve que cette abondance, tant vantée dans les relations faites après coup, n’était rien moins que réelle. On peut voir par vingt passages de sa correspondance quelle passion instinctive, irréfléchie, l’animait contre les marchands de blé. Un de ces marchands, le sieur Legendre, de Rouen, consentit à envoyer du blé à Paris; mais il réclama sans doute des garanties, et il eut bien raison. C’est alors que, dompté enfin par l’évidence et par la force des choses, La Reynie écrivit à M. de Harlay cette lettre que les lieutenans-généraux de police auraient dû faire imprimer en lettres d’or, mais qu’aucun d’eux ne connut probablement :


« J’exécuterai l’ordre que vous me faites l’honneur de me donner à l’égard du blé du sieur Legendre autant qu’il peut dépendre de moi... C’est là le cas où un bon marchand, qui n’est d’aucun complot ni d’aucune cabale, amenant sa marchandise à Paris, doit y avoir, ainsi que tous les autres en général, une entière et pleine liberté de la vendre et débiter à tel prix qu’il le peut et le plus avantageux pour lui, en observant les règles établies dans le lieu où il fait son commerce. La moindre contrainte au-delà sera toujours vicieuse et d’un grand préjudice au public, car elle empêcheroit le bon effet qui lui doit revenir de la liberté de chaque marchand et de la liberté réciproque des acheteurs. Il est encore de l’intérêt public, ainsi que vous le jugez, aussi bien que de l’intérêt du marchand, qu’il vende promptement, afin qu’il revienne bientôt rapporter d’autre marchandise. »


Sages et judicieuses réflexions pour les subalternes; mais étaient-ils assez éclairés pour en profiter? Pour sa part, le commissaire Delamare continua de voir partout des monopoleurs. « Toutes leurs ruses étant découvertes, dit-il, ils furent obligés de rentrer dans l’ordre et la discipline d’un légitime commerce. » Se figurant que les mesures auxquelles il se glorifie d’avoir pris part avaient ramené