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les restes de la récolte précédente et, ce qui était contraire aux ordonnances, d’arrher les blés en herbe. Par suite, le prix du froment ne tarda pas à s’élever, et il se vendait, après la moisson, 24 livres le setier, les autres grains en proportion. Le gouvernement recourut alors aux moyens accoutumés. Le 13 septembre 1692, il interdit l’exportation; mais, comme d’ordinaire, la mesure ne produisit pas grand effet. Le pain continua d’enchérir, et bientôt les désordres de la rue commencèrent. Le 12 novembre, la place Maubert (c’était déjà, avec le faubourg Saint-Antoine, le quartier le plus difficile à gouverner) fut le théâtre d’une sédition d’autant plus grave que les meneurs étaient des soldats aux gardes. Suivis d’une quantité considérable de menu peuple, ils ne s’étaient pas bornés à piller le pain des boulangers, ils leur avaient encore extorqué de l’argent.

Les craintes du gouvernement n’étaient, on le voit, que trop fondées. Il avait sollicité en pareille circonstance, lors de la disette de 1662, les avis d’une assemblée mixte, qui, si elle ne supprimait pas les difficultés, donnait du moins une grande force morale aux décisions prises sous son patronage. Une assemblée analogue fut convoquée et se réunit dans la chambre de Saint-Louis au Palais, Composée des présidens du parlement, de la cour des comptes et de la cour des aides, du prévôt des marchands, des échevins, de messieurs de la ville, des commissaires da Châtelet, de députés des chapitres de Notre-Dame, de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Victor, de Sainte-Geneviève, elle statua qu’il y avait lieu de pourvoir à la subsistance des pauvres, — de rétablir l’abondance sur les marchés de Paris en forçant les laboureurs et les marchands d’y amener leurs grains, avec défense expresse d’en vendre ailleurs, — de veiller à la sûreté publique et surtout à celle des boulangers. Quelques bonnes mesures furent prises pour venir en aide aux plus nécessiteux. Quant à rétablir par la force et la terreur l’abondance sur les marchés en y traînant les propriétaires de grains, si résolu qu’il fût à tout oser, le gouvernement reculait devant une pareille entreprise. Seule, la répression des vols de grains et de pain était possible, et elle ne se fit pas attendre. Le 28 novembre, La Reynie condamnait à mort trois soldats pris en flagrant délit. L’arrêt, soumis au parlement, fut confirmé en ce qui concernait l’un des coupables; les deux autres furent envoyés aux galères après avoir assisté à l’exécution. Quelques gardes furent mis au carcan ou battus de verges. On pouvait croire que ces actes de sévérité allaient prévenir de nouveaux excès; il n’en fut rien. Quatre jours après, huit soldats attaquaient, l’épée à la main, la femme d’un boulanger de Vaugirard, qui conduisait au marché une charrette de pain. Tels étaient, à la fin de 1692, les exploits des soldats français au cœur même de Paris ! Louvois, à