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de la même pitié que ce malheureux dont parle la correspondance officielle, qui languissait depuis dix ans dans un cachot de la Bastille pour avoir voulu transporter une de nos industries à l’étranger ? Soyons justes pourtant. Ces punitions terribles, empruntées au muet despotisme de Venise, qui au besoin ne reculait pas même devant le poison, la France n’était pas seule à les infliger : une nation voisine, dont Colbert eut le tort de suivre l’exemple, l’Angleterre, l’avait précédée dans cette voie et s’y était même engagée plus avant, car elle punissait de la déportation ceux qui auraient transporté de la laine à l’étranger. Pour le même crime, un Français résidant en Angleterre avait le poing coupé, et la récidive entraînait la mort. La loi britannique en vint jusqu’à punir aussi de mort l’importation d’un grand nombre de marchandises françaises : rigueurs barbares, déplorables violences que la guerre nationale la plus acharnée n’aurait pu ni justifier, ni excuser !

L’attention de La Reynie ne se portait pas toutefois uniquement sur les nécessités de la répression, et son attitude vis-à-vis de la population parisienne n’était pas toujours celle d’un justicier. Il s’occupait surtout de son bien-être. Les travaux considérables qui s’accomplissent à Paris sous nos yeux, ces grandes voies, ces îlots de verdure semés çà et là pour la jouissance de tous à la place des jardins privés, l’air et l’espace, le soleil et l’eau si libéralement prodigués, tout cet ensemble, improvisé pour notre agrément et pour celui du monde entier, ne doit pas faire oublier qu’à diverses époques des transformations analogues donnèrent à la capitale de la France le premier rang, qu’elle avait perdu depuis, et qu’elle vient de reconquérir. Au XVe siècle, les ambassadeurs de Venise la dépeignaient comme une merveille devant laquelle s’éclipsaient les plus belles cités de l’Italie. Si les derniers Valois firent peu pour leur résidence habituelle, Henri IV et Louis XIII l’embellirent à l’envi. La Place-Royale, qui fut pendant un siècle le quartier de la cour et du monde élégant, le Pont-Neuf, la rue et la place Dauphine, les hôpitaux de la Charité, de Saint-Louis, de la Santé, et un grand nombre de couvens ornés d’églises remarquables datent de Henri IV. Près de quarante couvens, congrégations, séminaires ou hospices furent encore fondés par son successeur. Vers la même époque, le palais du Luxembourg, le Jardin-des-Plantes, le Palais-Royal, s’ajoutaient aux monumens des âges antérieurs. L’imprimerie royale, établie, non sous le règne de François Ier[1], mais pendant le ministère du duc de Luynes, avait été complétée par le

  1. François Ier avait institué des imprimeurs royaux, mais ce n’était pas encore l’imprimerie royale.