Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relevé général des prisonniers de la Bastille avec les motifs de leur détention. Une autre lettre de Pontchartrain du 11 novembre 1697 confirme ce désordre, auquel on voudrait ne pas croire. La Reynie n’était plus alors chargé de la police : il avait cédé la place à d’Argenson; mais sa longue expérience lui valait d’être consulté dans les affaires délicates. A la paix de Ryswick, qui semblait devoir assurer à la France les bienfaits d’une longue tranquillité et qui fut, hélas! de si courte durée, Louis XIV voulut faire participer à la joie générale les prisonniers les plus dignes d’intérêt. Or les élémens pour ce travail manquaient, et il fallut les réclamer extraordinairement à l’ancien lieutenant-général. Les détails fournis par la lettre de Pontchartrain, son inaltérable sérénité en parlant de ces prisonniers dont le motif de détention est ignoré par ceux-là mêmes qui les ont fait enfermer, paraîtront sans doute assez significatifs.


« La paix (écrivait-il) est une occasion pour mettre en liberté, autant qu’il se peut, ceux qui se trouvent dans les prisons, et le roi a ordonné à chacun des secrétaires d’état de lui rendre compte de ceux qui y sont par ordres exprès signés d’eux. Je vous envoie la liste des hommes et femmes qui sont enfermés à l’Hôpital-Général ou au Refuge, la plupart sur des ordres signés de MM. Colbert, de Seignelay et de moi. On a mis à côté de l’article d’un chacun ce que l’on a pu savoir au sujet de leur détention. Presque toutes ces personnes vous doivent être connues, et je crois qu’il en est de même de ceux qui ont été arrêtés sur des ordres signés de MM. de Louvois, de Barbézieux, de Châteauneuf et de Torcy. Sa majesté veut que vous preniez la peine d’aller sur les lieux pour examiner l’état d’un chacun, afin de juger ce qu’on peut faire à leur égard, après que vous les aurez vus et entendus, et que les directeurs vous auront rendu témoignage de leur bonne ou mauvaise conduite. Il sera nécessaire que M. d’Argenson vous accompagne à cette visite pour s’instruire avec vous des sujets de détention de ces personnes et le mémoire que vous ferez sera soigneusement gardé avec les résolutions qui seront prises par sa majesté, pour s’en servir dans les occasions. »


Trois ans auparavant, le gouverneur de la Bastille ayant fait connaître que de nouvelles prisons étaient indispensables, Pontchartrain (on était alors en pleine guerre) lui avait répondu que le temps n’était guère propice, et qu’il fallait attendre. Rien de plus juste: d’abord le gouvernement s’épargnait une dépense considérable; d’autre part, en admettant que les amnistiés, faute d’espace, ne fussent pas victimes de haines privées ou d’erreurs judiciaires, n’étaient-ils pas déjà trop châtiés par une détention sans jugement, si courte qu’elle eût été? Qui sait même si, parmi ceux que les divers ministres avaient entassés dans les prisons d’état, et dont la paix de Ryswick fit lever l’écrou, on n’en aurait pas trouvé plusieurs dignes