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rendant exigeant comme le progrès, cet éclairage excitait souvent des plaintes, dont le lieutenant-général de police supportait le contre-coup. « On a dit à sa majesté, lui écrivait Seignelay (janvier 1688), que les lanternes de Paris sont à présent bien mal réglées, qu’il y en a beaucoup dont les chandelles ne brûlent pas à cause de leur mauvaise qualité et du peu de soin qu’on en prend : sur quoi elle m’ordonne de vous écrire d’y donner l’ordre que vous jugerez nécessaire. » Malgré ces plaintes inévitables, l’éclairage régulier et continu des rues de Paris n’en constitua pas moins une innovation des plus importantes, à laquelle le nom de La Reynie est resté attaché.

Prévenir les attaques des assassins et des voleurs, ce n’était pas tout : il fallait réprimer l’importunité et l’insolence invétérée des mendians et vagabonds. Habitués à une longue tolérance, jouissant de certaines immunités et organisés en bandes avec lesquelles la justice était obligée de compter, ils avaient, au centre même de Paris, un refuge d’où ils bravaient l’autorité. La Reynie fit, peu après sa nomination, une rude guerre à ces vieux abus. On raconte qu’après avoir envoyé par trois fois à la Cour des Miracles des commissaires et des détachemens trois fois repoussés à coups de pierres, il y alla lui-même un matin, accompagné de cent cinquante soldats du guet, d’un demi-escadron de soldats de maréchaussée, d’une escouade de sapeurs pour forcer les portes, d’un commissaire et de quelques exempts. Malgré la résistance des truands, la sape ouvrit bientôt leurs murs, et La Reynie aurait pu les prendre tous; mais il préféra les laisser fuir, se contentant de raser leur retraite, triste vestige de la barbarie d’un autre âge. Il y avait d’autres lieux de refuge plus difficiles à atteindre que les cours des miracles : c’étaient les enclos du Temple et de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, l’hôtel de Soissons, le Louvre même et les Tuileries. Un édit de 1674 supprima, il est vrai, toutes les justices seigneuriales de la capitale; mais l’esprit féodal, battu dans ses derniers retranchemens, refusait de se soumettre à la loi nouvelle. L’hôtel de Soissons, propriété de la maison de Savoie, affecta notamment, pour affirmer son droit, de donner asile à des voleurs, et la police eut souvent à lutter contre ses prétentions: peut-on s’en étonner quand on voit, en 1682, Colbert lui-même déplorer que le château des Tuileries servît de retraite à des gens que poursuivait la justice? Enfin deux ans après, c’est Seignelay qui nous l’apprend, Louis XIV recevait des plaintes fréquentes sur la difficile exécution des mandats contre les réfugiés de l’enclos du Temple : la menace d’en faire briser les portes, si les plaintes continuaient, donna sans doute à réfléchir, et peu à peu les derniers lieux d’asile disparurent.