Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/813

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que dans leurs maisons et boutiques. » Les fraudes du jeu de dés paraissaient à La Reynie plus difficiles à réprimer. On pouvait cependant interdire aux fabricans d’en faire de chargés ou de faux, avec ordre de dénoncer les personnes qui leur en demanderaient de cette qualité. Quant au jeu de hoca, il le considérait comme le plus dangereux de tous. « Les Italiens, disait-il, capables de juger des raffinemens des jeux de hasard, ont reconnu en celui-ci tant de moyens différens de tromper, qu’ils avoient été contraints de le bannir de leur pays. Deux papes de suite, après avoir connu les friponneries qui s’y étoient faites dans Rome, l’ont défendu sous des peines rigoureuses, et ils ont même obligé quelques ambassadeurs de chasser de leurs maisons des teneurs de hoca qui s’y étoient retirés... » La Reynie ajoutait que, toléré un instant dans Paris il y avait quelques années, ce jeu causait de tels désordres que le parlement, les magistrats et les six corps de marchands en demandèrent l’interdiction. Que serait-ce si la cour l’adoptait? Les bourgeois, les marchands et les artisans ne manqueraient pas d’y jouer aussi, et les désordres recommenceraient plus grands que jamais.

La demande de La Reynie ne fut pas écoutée. La cour avait besoin de distractions: le hoca y fut admis avec plusieurs autres jeux de hasard non moins dangereux, le lansquenet, le portique, le trou-madame. Il faut voir, à chaque page du Journal de Dangeau, la place qu’ils tenaient dans les amusemens du roi, des princes, des courtisans. Quand le dauphin eut grandi, sa passion pour le hoca et le lansquenet égala presque celle qu’il avait pour la chasse. De son côté, la favorite y déployait toutes les audaces de son caractère, « Le jeu de Mme de Montespan, écrivait le 13 janvier 1679 le comte de Rebenac, est monté à un tel excès que les pertes de 100,000 écus sont communes. Le jour de Noël, elle perdoit 700,000 écus; elle joua sur trois cartes 150,000 pistoles et les gagna[1]. Et à ce jeu-là (sans doute le lansquenet ou le hoca) on peut perdre ou gagner cinquante ou soixante fois en un quart d’heure. » Une autre fois un correspondant de Bussy-Rabutin lui annonce qu’en une seule nuit Mme de Montespan regagna 5 millions qu’elle avait perdus. N’y avait-il pas là quelque exagération? Un correspondant anonyme parle aussi de ces jeux, d’autant moins excusables qu’en cas de perte c’était en définitive le trésor royal qui payait. « Mme de Montespan, écrit-il à la date du 4 mai 1682, a

  1. La pistole valait 10 livres, ou de 40 à 50 francs de nos jours. Il y a près de trente ans, un savant correspondant de l’Institut, M. Leber, évaluait la valeur ou pouvoir des monnaies vers la fin du XVIIe siècle à près de quatre fois cette valeur en 1835. Tout le monde peut reconnaître aujourd’hui que, par suite de causes variées et complexes, le pouvoir des monnaies a encore baissé depuis une vingtaine d’années.