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une gratification qui produirait un excellent effet. On reconnaît là le bibliophile intelligent à qui la France doit la conservation des textes primitifs de Molière. Comme lieutenant-général de police, La Reynie devait veiller à ce que les œuvres du poète subissent, quel que fût le généreux patronage dont le roi le couvrait, certaines corrections; mais le discret appréciateur de Bayle, l’amateur de livres, le curieux conservait précieusement pour lui seul les textes originaux, et c’est grâce à son exemplaire, heureusement parvenu jusqu’à nous, qu’on possède dans leur pureté native la pensée et la forme mêmes du grand peintre de l’humanité[1].

Un des traits qui caractérisent le mieux le zèle du lieutenant de police à défendre la morale publique fut sa lutte contre les joueurs. Les désordres de la surintendance de Fouquet et les fortunes scandaleuses qui en étaient sorties avaient développé à un degré incroyable la passion du jeu. Gourville nous apprend, dans ses curieux mémoires, qu’on jouait, même en carrosse, des sommes exorbitantes. Le retour de l’ordre matériel et de la régularité dans l’administration calma pour un temps ces ardeurs de gain insensées. Louis XIV d’ailleurs était jeune, amoureux; d’autres plaisirs l’attiraient. Plus tard, quand les premières effervescences de la jeunesse furent passées, le goût du jeu lui vint et alla sans cesse grandissant. Les courtisans, cela va sans dire, suivirent l’exemple du maître. Bientôt les escrocs se mêlèrent aux parties et nécessitèrent l’intervention d’un fonctionnaire, le grand-prévôt, attaché à la cour pour juger, assisté des maîtres des requêtes de l’hôtel, tous les délits qui s’y commettaient. Le 31 mars 1671, La Reynie informa Colbert, de la part du grand-prévôt, que le roi leur avait ordonné de conférer ensemble « pour essayer de trouver quelque moyen d’empêcher les tromperies qui se faisoient au jeu. » En même temps, La Reynie envoyait à Colbert un mémoire signalant les fraudes auxquelles donnaient lieu les jeux de cartes, de dés et le hoca[2]. Pour les cartes, La Reynie conseillait d’enjoindre aux fabricans de les disposer par couleurs, pour obliger les joueurs à les mêler, et de n’employer qu’un même papier, dans le même sens. « Il y a des cartiers, ajoutait-il, qui travaillent dans des hôtels et dans quelques autres lieux privilégiés. C’est un abus considérable, et il sera bien à propos de leur défendre de travailler ailleurs

  1. Cet exemplaire était devenu, après bien des pérégrinations, la propriété d’un bibliophile distingué, M. Armand Bertin ; il appartient aujourd’hui à M. le comte de Montalivet.
  2. « Le hoca, dit le Dictionnaire de Trévoux, est composé de trente points marqués de suite sur une table, et il se joue avec trente petites boules dans chacune desquelles ou enferme un billet de parchemin où il y a un chiffre. »