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tendre, l’airelle relève ses branches affaissées sous le poids des frimas et dresse vers le ciel ses cônes violacés. Les vaches s’acheminent lentement vers les pâturages alpins, les grands troupeaux de moutons bergamasques montent vers la montagne : l’été est enfin venu ; malheureusement la durée en est bien courte. Jamais l’air ni le sol ne tiédissent complètement : les rayons du soleil, plus chauds et plus brillans que dans la plaine, activent la végétation pendant le jour ; mais la nuit le thermomètre redescend toujours aux environs de zéro, et la végétation s’arrête. Pendant ces trois mois d’été, la prairie n’est fauchée qu’une seule fois, et l’orge ou le seigle, qu’on cultive sur des terrasses exposées au midi, mûrissent à peine leurs maigres épis.

Six mois de neige et de glace, trois mois de pluie ou de froid et trois mois d’un été sans chaleur, tel est le climat de la Haute-Engadine. Une coupe de foin, un peu d’orge et de seigle, du bois qu’il faut ménager précieusement, tant il croît lentement, telles sont les ressources indigènes. Le voyageur qui descend des sommets du Juliers s’attend à trouver une de ces hautes vallées habitées quelques mois de l’année seulement. Dans ces vallées alpines, on ne voit guère que des chalets épars ou des villages d’été dont les maisons de bois, brunies par le temps, serrées les unes contre les autres et appuyées à la montagne, semblent vouloir se réchauffer mutuellement. À Silva-Plana, l’étonnement commence ; un beau village est assis entre deux lacs ; de grandes maisons en pierre blanche entourées de jardins, habitées chacune par une seule famille, bordent la route. Une exquise propreté, une apparence de bien-être annoncent l’aisance des habitans. Le voyageur descend la vallée sur une route magnifique, il aperçoit un grand établissement de bains situé sur les bords du second lac, arrive à Saint-Maurice, composé en partie d’hôtels à l’usage des baigneurs, traverse le joli village de Celerina, et atteint enfin le bourg de Samaden, le plus considérable de la vallée. — Ici son étonnement redouble. Dans la Suisse protestante, où les villages sont si beaux et si propres, il n’en est point de comparable à celui de Samaden, ni à tous ceux qui lui succèdent, Bevers, Sutz, Scanfs et Ponte. Quelle est l’origine de cette prospérité inouïe dans une vallée alpine qui ne produit rien ? L’industrie. L’Engadine compte peu d’habitans sédentaires ; la plupart émigrent, ils vont à l’étranger exercer les professions de confiseurs, pâtissiers, cafetiers ; leur fortune faite, ils reviennent dans leur vallée, chacun dans le village qui l’a vu naître, construisent une belle maison et la meublent suivant le goût du pays où ils ont acquis la richesse. En entrant dans ces comfortables demeures, vous retrouvez les usages et les habitudes de la ville où le