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la Colère de Samson, écrite en 1839 et restée inédite jusqu’ici. Le poète a été trompé par la femme; il a été trahi et vendu ou du moins raillé, et il le dira; il le dira à sa manière, sous un masque grandiose, hébraïque, impersonnel : c’est l’antique Samson qui parlera pour lui. Samson est assis dans sa tente au désert, et Dalila, la tête appuyée sur les genoux de l’homme puissant, repose avec nonchalance. L’heure, le moment, l’attitude, sont décrits par un poète qui a retrouvé ses plus jeunes pinceaux. Samson se plaît à bercer la belle esclave et lui chante en hébreu une chanson funèbre dont elle ne saisit pas le sens :

Elle ne comprend pas la parole étrangère,
Mais le chant verse un somme en sa tête légère.


Et cependant Samson, à ce moment où il montre tant de douceur et de complaisance, sait tout : il sait la ruse de la femme, ses perfides confidences à son sujet, ses intelligences avec l’ennemi, et que la femme est et sera toujours Dalila. Trois fois déjà il a tout su, trois fois il l’a vue en pleurs et lui a pardonné. Que voulez-vous? le plus fort, à ce jeu, est aussi le plus faible :

L’homme a toujours besoin de caresse et d’amour...
Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut un baiser...


Dalila pourtant, cette Dalila qui dort sur ses genoux, s’est cruellement jouée de lui; elle s’est vantée, entre autres choses, de tout lui inspirer sans rien ressentir :

A sa plus belle amie elle en a fait l’aveu :
Elle se fait aimer sans aimer elle-même;
Un maître lui fait peur. C’est le plaisir qu’elle aime;
L’Homme est rude et le prend sans savoir le donner.
Un sacrifice illustre et fait pour étonner
Rehausse mieux que l’or, aux yeux de ses pareilles,
La beauté qui produit tant d’étranges merveilles...


En un mot, Dalila est fière de Samson, voilà tout; il lui fait honneur devant le monde, il la décore et la rehausse en public; mais elle ne l’aime pas; il ne l’amuse pas : elle met ses goûts moins haut. Cette Dalila des Philistins est capable, comme une Dalila de Paris, de dire à sa meilleure amie ce mot du cœur qui a été dit bien réellement et qui peint toutes les Dalila : «Vois-tu, ma chère, plus je vais, et plus je sens qu’on ne peut bien aimer que celui qu’on n’estime pas. »

Samson est donc à bout, non de pardon, mais de courage; il a la nausée de tout; il donnerait sa vie pour rien; il ne daigne plus la