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La Maison du Berger, dédiée à Éva, débute par un beau mouvement :

Si ton cœur, gémissant du poids de notre vie,
Se traîne et se débat comme un aigle blessé.
Portant comme le mien, sur son aile asservie.
Tout un monde fatal, écrasant et glacé;
S’il ne bat qu’en saignant par sa plaie immortelle,...


si tu souffres trop enfin, viens, lui dit-il; laisse là les cités; la nature t’attend dans son silence et ses solitudes. — Et c’est alors qu’il offre à la belle et pâle voyageuse, comme aux premiers jours du monde, la hutte roulante du berger. L’invective contre les chemins de fer suit de près; il s’y voit de bien beaux vers :

Évitons ces chemins. Leur voyage est sans grâces,
Puisqu’il est aussi prompt, sur ses lignes de fer,
Que la flèche lancée à travers les espaces
Qui va de l’arc au but en faisant siffler l’air.
………………….
On n’entendra jamais piaffer sur une route
Le pied vif du cheval sur les pavés en feu;
Adieu, voyages lents, bruits lointains qu’on écoute.
Le rire du passant, les retards de l’essieu...


Tout ce passage est charmant; il y en a de très élevés : la nature parle et dit d’admirables choses dans son impassible dédain pour la fourmilière humaine :

On me dit une mère, et je suis une tombe!


Il revient, vers la fin, à sa maison de berger, qui est, il faut en convenir, un véhicule plus poétique que commode; mais de beaux vers font tout pardonner. Il promet à Éva de lui lire ses propres poèmes, assis tous deux au seuil de la maison roulante :

Tous les tableaux humains qu’un Esprit pur m’apporte
S’animeront pour toi quand, devant notre porte.
Les grands pays muets longuement s’étendront.

Voilà un vers à joindre au Pontum adspectabant flentes de Virgile, à ces longues vallées sacrées que l’errant Ulysse voit si souvent se dérouler devant ses yeux dans les contrées désertes qu’il a à traverser chez Homère, un vers presque égal lui-même à l’immensité. C’est ce côté de M. de Vigny qu’il faut maintenir, et que tous les échecs académiques ne sauraient atteindre. Il avait du grand sous le pointillé.

Mais la pièce, selon moi, la plus belle du recueil, et au moins égale, je le crois, à n’importe lequel de ses anciens poèmes, c’est