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REVUE DES DEUX MONDES.

Ils rentrèrent au salon. Depuis que ce duel était décidé, Jacques était délivré de ses irrésolutions. Il contemplait le danger face à face et ne le redoutait plus. Il aborda gaîment Achille et lui conta ce qui s’était passé. Achille fut d’abord atterré ; mais en voyant son ami la confiance dans les yeux, le sourire sur les lèvres, il se rassura. Ce dénoûment pouvait être le meilleur. Jacques, au pis aller, en serait quitte pour un coup d’épée. Achille pensait que désormais du moins l’avenir de son ami, le bonheur peut-être de sa sœur, ne seraient plus compromis par ces appréhensions étranges d’un malheur inconnu, par ces hésitations d’âme qui pesaient depuis si longtemps sur la vie de Jacques.

Le lendemain, les adversaires, suivis de leurs témoins, se rencontrèrent. M. de Girard paraissait sous l’empire d’un froid ressentiment. Quant à Jacques, il n’était plus le même que la veille ; sans doute ses voix secrètes lui avaient parlé pendant la nuit. En prenant son épée, il regarda doucement et tristement Achille. Celui-ci, effrayé, se plaça, une canne à la main, de manière à interrompre le combat à la plus légère blessure. Malheureusement cette précaution devait être inutile. Les deux hommes s’attaquèrent avec une violence extrême. Le jeu de M. de Girard était serré et foudroyant. On voyait que la colère le surexcitait, mais ne l’aveuglait pas. Jacques maniait son épée avec une ardeur fébrile, ne songeant qu’à frapper vite, ne se couvrant qu’à peine. Bientôt il fut atteint, mais tout en tombant il étendit le bras, et M. de Girard, entraîné par son élan dans le coup qu’il portait à Jacques, s’enferra de part en part.

Achille avait reçu son ami dans ses bras. — Ah ! lui dit Jacques d’une voix mourante, j’ai vengé Gerbaud ; mais je savais bien que je serais tué en duel.

Henri Rivière.