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Ostie. Peu de jours après que Caton était mort pour demeurer libre, Cicéron, moins héroïque, tout en écrivant un livre à la louange de Caton, se consolait en soupant, c’est lui qui nous l’apprend, chez les vainqueurs. « Que faire ? ajoutait-il ; il faut se conformer au temps (tempori serviendum est). » Cicéron, et cela le relève un peu, ne pouvait éteindre dans son âme faible, mais naturellement généreuse, le sentiment de sa déchéance. Vers la même époque, il écrivait à un de ses amis : « Tu me parles de Catulus et de ces temps, qu’y a-t-il aujourd’hui de semblable ?… Nous étions à la poupe et tenions le gouvernail ; aujourd’hui à peine avons-nous une place dans la sentine du vaisseau. » Il ajoute tristement : « La face de Rome est changée, on ne trouve plus dans l’urbs aucune urbanité ; elle prend un aspect étranger, toute remplie qu’elle est de Transalpins, de Gaulois qui portent des braies. » Il a le projet de quitter Rome et d’acheter près de Naples une villa pour s’y retirer. « À quoi sert d’aller au sénat ? Tandis que je suis les débats du Forum ou que j’écris, j’apprends qu’on a reçu en Arménie, en Syrie, un sénatus-consulte pour lequel on dit que j’ai voté et dont je n’ai jamais entendu parler. » Les sénatus-con suites se fabriquaient chez César. À cet enjouement douloureux succédait l’amertume de l’humiliation, que les lettres d’Atticus cherchaient à adoucir. « Quand je les lis, lui écrivait Cicéron, je rougis moins de moi-même (minus mihi turpis videor). » Ce sentiment de tristesse se retrouve dans le traité de Cicéron sur les orateurs illustres, auquel il a donné le nom de Brutus. La scène de ce dialogue entre Brutus, Cicéron et Atticus est à Rome, dans le jardin de Cicéron, au-dessous d’une statue de Platon, Cicéron y fait l’histoire de l’éloquence romaine, maintenant muette ; il déplore d’être né trop tard et d’être tombé dans cette nuit de la chose publique.

En effet. César était tout-puissant. Pompée était mort en Égypte et Caton dans Utique. La sépulture de Pompée est près de Rome. Avant d’entrer dans Albano, on voit, à gauche, le squelette d’un grand tombeau qui était revêtu de marbre ; il est, selon Nibby, disposé comme un bûcher à quatre étages. On donnait parfois aux tombeaux cette apparence de bûcher : fut-elle choisie à dessein pour consoler l’ombre du grand capitaine qui, sur la plage d’Égypte, n’avait eu pour bûcher funèbre que quelques planches d’une vieille barque échouée comme sa fortune, auxquelles avait mis le feu la main d’un affranchi fidèle ? Cornélie apporta d’Égypte les cendres de ce cadavre dont la tête manquait : elle avait été coupée par un traître et portée à César dans Alexandrie. César avait d’abord considéré cette tête avec attention pour s’assurer qu’on ne le trompait point, puis, se détournant, avait répandu des larmes, qu’en dépit de Lucain je crois sincères. César ne jouait pas la comédie pour