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mis des obstacles à sa coupable entreprise. La prodigieuse habileté de César triompha de tout. L’un et l’autre jouaient le même jeu ; seulement César jouait bien et Pompée jouait mal. César ne fit pas une faute, et Pompée n’en manqua pas une.

Le parti vaincu à Pharsale était le bon parti, celui de la constitution, qu’il fallait réformer, transformer, s’il était possible, et non détruire, car en la détruisant on créait le pouvoir absolu, le mal sans remède. La corruption était partout, chez les nobiles comme chez les hommes nouveaux. Les premiers comptaient pourtant dans leurs rangs quelques honnêtes gens : ils avaient Caton, la vertu même ; dans le parti contraire, je ne puis découvrir un honnête homme. Et il ne faut pas que ce mot nobiles fasse illusion ; cette aristocratie n’était point fermée ; la naissance n’était nullement nécessaire pour y prendre place et y jouer un grand rôle : Marius, Cicéron, Pompée même le prouvent assez. Il n’y avait alors à Rome nul privilège, nulle inégalité ; toutes les fonctions étaient accessibles à tous. Les justes droits de la vraie démocratie n’étaient donc point en cause, et quant à ce que l’on confond souvent avec eux, l’empire de la multitude, il n’était que trop grand, car c’est par lui, comme il arrive presque toujours, que devait s’établir le despotisme.

Après Pharsale, Cicéron revint en Italie avec une précipitation que lui-même s’est amèrement reprochée, profondément découragé, désespérant de l’avenir, fort inquiet de la manière dont il serait traité par César et de l’opinion qu’on allait avoir de lui, attendant avec impatience le moment de rentrer à Rome, cette ville où il avait fait de grandes choses, où il retrouverait son ami Atticus et ses livres, ces autres vieux amis. Il y arriva enfin après s’être arrêté quelque temps dans sa villa de Tusculum, où sa femme vint le retrouver, se plongea et, comme il le disait, se cacha dans l’étude des lettres, cette consolation à laquelle il fut toujours sensible, mais qui ne lui avait pas toujours suffi. Maintenant il se rejetait sur la littérature, dans laquelle il croyait par momens trouver un repos agréable et complet ; mais on sent que c’était un pis aller. Au sein de l’étude, il regrettait l’éloquence, la curie, le Forum, où il n’y avait plus de place pour lui ; Cicéron revenait à la philosophie comme le joueur revient à sa maîtresse ; lui aussi, ayant perdu la partie, s’écriait : O ma chère Angélique !

Pendant ce temps-là, César battait les pompéiens en Afrique, et Caton échappait à la servitude par la mort. En Asie, César triomphait de Pharnace avec une rapidité qu’a immortalisée un mot célèbre : « je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. » À Rome, toutes les haines n’étaient pas désarmées, puisque ses amis lui écrivaient de ne point débarquer à Alsium, dans la villa de Pompée, car là on pourrait lui faire un mauvais parti. César écouta leurs conseils et prit terre à