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sénat, c’est-à-dire les poltrons et les traîtres à la république qui n’avaient pas suivi les consuls et Pompée. Dans un discours conservé par lui, il se plaignait beaucoup de ses ennemis ; mais parce qu’un général a de justes sujets de mécontentement, son mécontentement lui donne-t-il le droit d’attaquer à main armée les autorités régulièrement constituées et la constitution elle-même ? Quoi que pût dire César, sa présence à Rome était un crime contre l’état (violata respublica).

Sur sa route et à son arrivée, par cette clémence calculée, insidiosa elementia, disait encore Cicéron, dont César savait toujours se servir à propos, comme en Gaule il se servit plus d’une fois de la cruauté, il eut bientôt rassuré ceux qui craignaient de voir dans cet ambitieux sans colère un furieux comme Marius. César pourtant montra que la violence ne lui coûtait rien lorsqu’elle lui était utile, et que les scrupules religieux ne l’arrêtaient point. Le trésor de l’état, qui s’appelait le « trésor très saint, » était renfermé dans l’Ærarium, attenant au temple de Saturne, dieu de l’âge d’or, âge où l’on ne volait point ; mais l’âge d’or était passé, et les deux Marius avaient donné l’exemple du pillage de l’Ærarium. César ordonna que le trésor lui fût livré ; le tribun Metellus eut le courage de se placer devant la porte du temple. César, peu clément ce jour-là, le menaça de le tuer, ajoutant : « Tu m’appartiens, toi et tous ceux qui se sont armés contre moi. » Il était difficile de fouler aux pieds plus insolemment tout droit. Les consuls, dans leur simplicité, avaient pris la précaution d’emporter la clé du trésor ; César fit briser les portes. Si jamais il y eut vol, et vol avec effraction, ce fut ce jour-là. Le vol du trésor, les menaces de meurtre adressées au tribun firent un certain effet sur le peuple, qui s’irritait encore de la tyrannie en la subissant. Le sénat de César lui-même laissa voir quelque humeur, car César partit pour l’Espagne très mécontent de lui. De retour à Marseille, César apprit qu’il avait, selon son désir, été nommé dictateur de la manière la plus illégale ; mais qu’importait la légalité ? Le temps du droit était passé sans retour. Il fut plusieurs fois dictateur et plusieurs fois consul. Ces titres étaient peu sérieux. César fut le maître absolu de Rome jusqu’au jour où il tomba : il n’y a que cela de réel pour l’histoire.

César avait laissé Antoine à Rome pour y commander en son absence ; celui-ci y avait étalé ses vices et avait paru en public précédé par les licteurs, accompagné de la courtisane Cytheris et de bouffons. Il est fâcheux que Cicéron raconte gaîment avoir assisté à un souper où était cette femme. César ne fit aucun reproche à Antoine : Antoine était dévoué, et en fait de mœurs César n’avait pas le droit de se montrer sévère. Revenu à Rome pendant un court séjour, il promulgua plusieurs lois empreintes de cette modération