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voulut tout à coup l’arrêter et le détruire ; on le mit dans la nécessité qu’il attendait de dominer pour se conserver et d’attaquer pour se défendre.

Le rappel de César devint la grande question ; il fut soutenu par le consul Marcellus, ennemi acharné de César, et combattu par son collègue Sulpicius. Pompée était absent, ce qui le dispensait de se prononcer. Quand il reparut dans la curie, son langage fut évasif : il était embarrassé de son personnage, car il avait l’Espagne pour cinq ans au même titre que César avait la Gaule, et cela par la violation d’une loi dont lui-même était l’auteur. Curion, vendu à César, ne paraissait point l’être ; Marcellus ayant demandé que César déposât son commandement, Curion approuva Marcellus, mais demanda que Pompée déposât le sien. Cela fit hésiter le sénat, qui ne décida rien. Pompée s’en alla en Campanie ; il y tomba malade, peut-être de dépit. Quand il revint après sa guérison, tout le long de la voie Appienne, il fut accueilli par des signes d’allégresse. Dans tous les lieux qu’il traversait, on offrait des sacrifices sur son passage, on le recevait avec des couronnes et des flambeaux, on lui jetait des fleurs ; ces hommages achevèrent de lui tourner la tête et de l’aveugler. En arrivant à Rome, il déclara qu’il était prêt à renoncer à sa province et ne doutait pas que César en fît autant. Curion répondit à Pompée qu’il fallait donner l’exemple en exécutant ce qu’il promettait. Personne n’était de bonne foi, chacun des deux rivaux voulait tromper l’autre, et Curion comptait peut-être sur le refus de Pompée pour autoriser celui de César. Pompée montra de l’humeur et se retira dans sa villa albaine, s’éloignant selon son usage quand il était mécontent. Le sénat s’assemble en son absence ; la proposition de Curion, repoussée d’abord, est enfin acceptée. Marcellus sort furieux en s’écriant : « Eh bien ! que César soit votre maître ! » Curion alla dans le Forum, où l’on savait déjà ce qui s’était passé dans la curie ; il fut reçu avec des applaudissemens, et quand il eut déclamé en chaud républicain contre la tyrannie de Pompée, on le reconduisit à sa maison en lui jetant des fleurs, comme on en jetait naguère sur la voie Appienne à ce même Pompée.

Le bruit se répandit dans Rome que César avait passé les Alpes et marchait sur la ville ; Cicéron même le crut déjà à Plaisance. Cette nouvelle, qui causa un grand effroi, était de celles qui ne sont pas encore vraies, mais qui ne tardent pas à l’être. Pompée était toujours hors de la ville ; les consuls se rendirent auprès de lui, Marcellus lui remit un glaive en lui disant : « Nous t’ordonnons d’aller combattre César ; nous te donnons le commandement des troupes qui sont en Italie et le pouvoir d’en lever d’autres autant que tu le