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Capène, non loin du tombeau des Scipions. C’est le temps des fériés latines. Scipion Émilien reçoit quelques amis qui pendant ces jours de loisir viennent le visiter. Quand Furius, l’un d’eux, paraît, Scipion se lève, le prend par la main et le fait asseoir sur son lit, la place d’honneur à Rome, comme le canapé en Allemagne ; puis, lorsqu’un esclave annonce que Lælius est sorti de sa maison et vient le voir, Scipion met sa chaussure, prend sa toge et va l’attendre sous le portique. À son arrivée, il le salue ainsi que ceux qui l’accompagnent, se retourne alors, et, debout sous le portique, présente Lœlius à ses autres amis. Un nouveau personnage survient, tous le saluent, et, comme on était en hiver, la grave compagnie va chercher le soleil dans un petit pré. Les interlocuteurs de l’Orateur avaient cherché l’ombre à Tusculum : l’ombre et le soleil jouent un grand rôle dans la vie des peuples méridionaux et en particulier des Romains.

Cicéron revint d’Asie à Rome, tout occupé de son triomphe peu mérité, dont Caton lui refusait l’innocente satisfaction, que César par lettres et Pompée de vive voix lui faisaient espérer. Cajolé par les chefs des deux partis, sans influence sur l’un ni sur l’autre, il se flattait de la paix, qui était devenue impossible, et aspirait au rôle de médiateur, qu’il n’était pas en mesure de jouer. On vint en foule à sa rencontre, et son entrée, dit-il, fut aussi belle qu’il pouvait le désirer ; mais il tomba dans le feu de la discorde civile. Le moment suprême de la vieille constitution était proche ; la lutte allait s’engager entre la république et l’empire, entre Rome et César, entre la liberté, mal protégée contre la tyrannie des factions, et le pouvoir absolu d’un maître. La liberté était malade, elle allait mourir. Il était clair pour quiconque avait les yeux ouverts que César était son ennemi ; mais comment la sauver de César ? Si César eût été un Washington ou un citoyen de l’ancienne république romaine, à l’expiration de son commandement il fût rentré dans Rome comme un simple citoyen, protégé seulement par sa gloire et son immense popularité ; mais on ne pouvait attendre cela de lui, et il semblait sage de ne pas le pousser à bout. C’est pourquoi Pompée appuya la demande que fit César d’être nommé consul, quoique absent. Cependant on comprit bientôt le danger qu’il y avait à le laisser revenir à la tête de son armée victorieuse, entouré de la faveur populaire, revêtu du premier pouvoir de l’état : c’était lui livrer la république. Pour la conserver, il fallait à tout prix lui enlever sa province et son armée ; mais ce parti violent donnait à la cause de l’ennemi de l’état une apparence d’équité : on s’y prenait trop tard ou trop tôt ; on devançait l’événement pour prévenir le danger. Après avoir laissé César grandir et se fortifier, on