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pédition, assez inutile, ce me semble, au point de vue militaire, fut très bien conçue au point de vue politique : elle frappa vivement les imaginations populaires. On dut en parler beaucoup à Rome dans les boutiques des barbiers et parmi les oisifs qui se rassemblaient devant la tribune, au bord du canal ; ce fut en petit la campagne d’Egypte du Bonaparte romain. De plus, il paraît qu’on espérait trouver dans l’île de Bretagne une sorte d’Eldorado, des mines d’or et d’argent. Ces richesses, dans la pensée de César, étaient sans doute destinées à appuyer au Forum et au Champ-de-Mars les candidatures de ses partisans. L’enthousiasme à Rome allait croissant, car cette fois le sénat dut décréter non plus quinze, mais vingt jours d’actions de grâces. Durant ces vingt jours de fêtes, les travaux cessaient ; tous les temples étaient ouverts ; la foule allait de l’un à l’autre, chacun selon sa dévotion particulière. Certains momens de l’année romaine pendant lesquels se succèdent des solennités très rapprochées peuvent donner quelque idée de l’aspect que la ville offrait alors. Les exploits de César furent vingt jours durant racontés, commentés, exaltés de mille façons, sans doute avec accompagnement de récits merveilleux et d’aventures incroyables.

Ce transport du peuple romain pour les hauts faits prodigieux de César était bien naturel, mais il préparait l’asservissement de Rome. La gloire militaire est la plus dangereuse sirène pour les peuples libres. Caton ne s’y trompa point. Au milieu de l’enivrement général, il éleva une voix sévère. César, après avoir promis à des ambassadeurs germains de ne pas attaquer avant leur retour, avait profité d’une agression partielle et désavouée pour violer sa promesse. Peut-être y était-il autorisé par ce qu’on appelle le droit de la guerre, et qui ressemble beaucoup au droit du plus fort ; mais Caton, qui n’aimait pas ces victoires (car il sentait très bien qu’elles étaient remportées sur la république, et que c’était la liberté de Rome qui périssait dans les Gaules et en Germanie), Caton se leva au sein de la curie et prononça ces paroles : « Je demande que César soit livré aux Barbares, pour que la malédiction qui s’attache au parjure soit détournée de nous et retombe sur son auteur. » Ce que rapporte Suétone des extorsions et des pillages de César dans les Gaules justifie la colère de Caton.

La mort de la fille de César fournit à ceux qui ne pensaient point comme Caton, et ils étaient en grand nombre, une occasion de montrer leur sympathie pour le glorieux conquérant. La voix des tribuns entraîna le peuple ; du Forum il se précipita vers les Carines, qui en étaient très proches, et où Julie était morte dans la maison de Pompée. Le corps fut enlevé et porté dans le Champ-de-Mars, où l’on n’enterrait que les personnages considérables. Elle alla y at-