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lui, et il commença d’une manière brillante ces campagnes où il devait déployer le génie militaire qu’il avait reçu du ciel, comme tous les autres dons de l’intelligence. À Rome, nous n’avons guère vu que l’admirable intrigant : en Gaule, s’il nous était permis de l’y suivre, nous admirerions le grand capitaine ; mais il a été mieux admiré et mieux jugé par un émule de sa gloire, Napoléon. Retenus à Rome, nous pouvons du moins y observer l’effet qu’y produisirent ses merveilleuses victoires. Du reste, César absent y était toujours par la pensée. Toutes ses victoires avaient un but, et ce but était à Rome. En conquérant la Gaule, César voulait conquérir le pouvoir suprême, et il ne subjugua les Gaulois que pour subjuguer les Romains.

César aimait la gloire, mais il aimait encore plus la puissance. La gloire était pour lui un moyen comme l’intrigue ; seulement c’était un moyen plus noble. Pendant les neuf ans qu’il mit à soumettre la Gaule, César occupa constamment l’imagination des Romains par des victoires dans un pays à peu près inconnu, remportées sur un peuple belliqueux dont le nom avait laissé à Rome une grande terreur, car, seul de tous les peuples du monde, il avait occupé Rome et fait payer une rançon aux défenseurs du Capitole. Quand il commença cette suite de campagnes immortelles. César laissait à Rome beaucoup d’ennemis ; mais, pour le moment, ils étaient réduits à l’impuissance. Crassus lui appartenait. Pompée était son allié. Bien qu’il se crût son rival. Pompée ne faisait plus rien de grand ; Clodius soulevait le peuple contre lui ; le sénat le ménageait encore, mais au fond le haïssait et le craignait. Cicéron, dégoûté de Pompée, se sentait attiré vers César. César, qui le connaissait et qui, s’il l’avait desservi comme chef d’un parti contraire, voulait bien de lui comme instrument. César commençait avec Cicéron ce manège de coquetterie auquel celui-ci ne sut jamais résister.

De cette curie où régnait une aristocratie mécontente de son chef et n’osant se brouiller avec lui, parce qu’elle n’en avait pas d’autre, de ce Forum turbulent, de ce Champ-de-Mars où le sang coulait pendant les élections, les yeux des Romains se détournaient pour se fixer sur le théâtre d’une guerre glorieuse, et en même temps que César entretenait par des succès continuels l’admiration et l’étonnement, il ne négligeait rien pour satisfaire les ambitions qui se donnaient à lui. Après avoir arrêté les Helvétiens aux bords du Léman et repoussé Arioviste au-delà du Rhin, il revenait dans la Gaule d’Italie, et là, dit Plutarque, il jouait le rôle de démagogue, accordant à ceux qui allaient vers lui ce qu’il leur fallait et les renvoyant satisfaits de ce qu’ils avaient reçu ou pleins d’espérances.

À la nouvelle des succès de César, une grande joie remplit Rome.