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les élections, et qui ce jour-là fut brisée par ces furieux. Sestius, couvert de blessures, fut laissé pour mort sur la place. On conçoit que plus tard Cicéron ait plaidé pour lui.

Tandis que Sestius et Milon opposaient leurs bandes aux bandes de Clodius, le sénat se réunit dans le temple de la Vertu et de l’Honneur, élevé par Marins, le grand parvenu d’Arpinum, le compatriote populaire de Cicéron. Il y avait dans le choix de ce lieu d’assemblée une allusion bienveillante au mérite par lequel Cicéron, comme Marius, s’était élevé aux honneurs. Le sénat invita toutes les villes d’Italie à bien accueillir sa personne et les habitans des municipes à venir à Rome, unique moyen de contre-balancer l’ascendant de la populace urbaine. L’opinion, de plus en plus favorable à Cicéron, osa se manifester au théâtre : des allusions à son retour y furent saisies avec empressement ; on lui appliqua un vers de tragédie sur le roi Servius, appelé comme lui Tullius et qui avait établi la liberté. Dans le Brutus d’Attius, l’acteur ayant prononcé le nom de Cicéron au lieu de celui de Brutus, on fit répéter plusieurs fois le vers, et l’on applaudit beaucoup. Des applaudissemens accueillirent aussi Sestius quand, remis de ses blessures, il parut dans le Forum pendant un combat de gladiateurs ; ces applaudissemens s’élevèrent depuis le pied du Capitole jusqu’à l’extrémité opposée du Forum. Clodius fut hué et sifflé à son tour, et la petite rue par laquelle il descendait du Palatin au Forum appelée dérisoirement, du nom de sa gens, via Appia. Le sénat tint une séance solennelle dans le temple le plus auguste de Rome, celui de Jupiter Capitolin. Pompée, oubliant sa conduite passée, déclara que Cicéron avait agi justement. Un autre jour, le sénat décida dans la curie qu’il rappelait Cicéron. Après la séance, plusieurs sénateurs descendirent au Forum, haranguèrent le peuple et lui communiquèrent la décision du sénat. César avait fait savoir qu’il approuvait.

Vint le grand jour où les centuries, convoquées dans le Champ-de-Mars, devaient prononcer. L’assemblée, grâce aux Italiens appelés à Rome par le sénat, fut nombreuse, et, grâce aux gladiateurs de Milon, fut tranquille. Plusieurs personnages considérables surveillèrent les votes. Une seule voix, avec celle de Clodius, s’éleva contre Cicéron. Pompée fit son éloge et pria toutes les classes de ratifier la rogation appuyée par le sénat ; elle fut ratifiée. Le retour de Cicéron ressembla littéralement à un triomphe, car il lui fut permis d’entrer dans Rome sur un char doré traîné par des chevaux magnifiquement caparaçonnés. Le tableau de cette entrée brillante n’a rien perdu sans doute à être retracé par Cicéron lui-même ; il a peint la foule couvrant les toits et les degrés des temples, tandis qu’il s’avançait de la porte Capène, suivant la voie des triomphes,