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descend au Forum, monte à la tribune, dit que le sénat importe peu, que les chevaliers expieront leur audace, que le temps de la vengeance est venu, et, par un édit rendu avec son collègue Pison, il interdit le deuil aux sénateurs. Cicéron ne voulut pas prolonger une lutte impossible, et résolut de s’exiler volontairement ; mais avant de partir, il monta au Capitole et dédia dans le temple de Jupiter une statue de Minerve. Mettant Rome sous la protection de la déesse de la sagesse pendant qu’elle serait privée de sa propre sagesse, il sortit de la ville à pied, de grand matin, par la porte Capène, et suivit la voie Appienne pour gagner la Campanie et la Sicile. Quelles durent être ses pensées dans ce triste départ, s’il se retourna pour regarder une dernière fois le Palatin, où il laissait sa belle maison, sa femme, son fils, sa fille, qu’il aimait si passionnément, et ce Capitole où il avait obtenu, malgré César, la condamnation des complices de Catilina ! César prenait aujourd’hui sa revanche. Je n’ai pas à suivre Cicéron dans son exil, et j’en éprouve peu de regrets ; il y montra un abattement, une faiblesse, une occupation de soi et un oubli de la chose publique dont les témoignages arrivaient trop souvent à Rome dans ses lettres. Il se reprochait de vivre, il se regrettait et pour ainsi dire se pleurait lui-même. Cette faiblesse n’était pas suffisamment excusée par sa tendresse pour les siens et par ce besoin d’être à Rome que Cicéron trahit à chaque page de sa correspondance, tout en affirmant que nul lieu n’est plus triste à habiter pour un bon citoyen.

Dès que Cicéron eut quitté Rome d’un côté, César s’en éloigna de l’autre et partit pour la Gaule, où tant de gloire l’attendait. Cicéron avait été, après son départ, banni à perpétuité, et Clodius avait affiché sur la porte de la curie une défense de rapporter jamais la loi qui le frappait. La belle maison qu’il avait achetée après son consulat sur le Palatin fut mise au pillage, puis incendiée et renversée. Sa courageuse femme Terentia fut obligée de se réfugier dans le collège des vestales, heureusement peu éloigné de sa demeure, et dans lequel était sa sœur Fabia. Elle en fut arrachée et traînée chez un des banquiers du Forum pour déclarer qu’elle garantissait qu’il ne serait pas touché à l’argent laissé par Cicéron. Enfin, dernière insulte, une misérable créature de Clodius éleva sur l’emplacement de sa maison rasée une statue à ce patron bien digne de lui, et Clodius y érigea une statue à la Liberté ; ce qui faisait dire à Cicéron : « La liberté est dans ma maison comme la concorde est dans la curie. » Cette statue de la Liberté était le portrait d’une courtisane grecque enlevé à un tombeau par le frère de Clodius. Les villas que Cicéron possédait près de Tusculum et à Formies éprouvèrent le même sort que sa maison du Palatin. À Tusculum, Gabi-