Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consoler de l’ingratitude qu’il sentait venir autre chose que la conscience de sa gloire, n’était-il pas excusable de revenir trop souvent sur le grand acte qui l’a justement immortalisé, et de se rendre à lui-même, avec trop de complaisance sans doute, une justice que tout le monde ne lui rendait point ?

César voulait être consul ; pour cela, il était revenu en toute hâte d’Espagne, il avait sacrifié le triomphe au Capitole pour le triomphe au Champ-de-Mars : il l’avait obtenu, il était consul. Maintenant, ce dont il avait besoin, c’était de triompher au Forum. Avant d’y paraître, il proposa dans le sénat une loi agraire qui n’était plus, comme au temps des Gracques, une revendication des terres usurpées par les riches sur l’état, mais une aliénation des terres de l’état au profit des plébéiens pauvres et chargés d’enfans. C’était une loi populaire, le consul se faisait tribun. La loi était sage et ses dispositions habilement combinées. Il semble que Caton eut tort de s’y opposer ; mais sa clairvoyance, à laquelle on n’a pas rendu justice, découvrait le but auquel César voulait arriver par la popularité. Il vint donc dans la curie avec son intrépidité ordinaire pour le combattre ; il était seul, toutes les autres voix ou approuvaient ou se taisaient. César, le traitant comme un perturbateur, donna l’ordre à un licteur de l’arrêter et de le conduire en prison. Caton se leva tranquillement pour marcher vers la prison. Ce spectacle émut et indigna ; beaucoup de sénateurs se levèrent aussi et le suivirent ; un d’eux s’écria généreusement qu’il aimait mieux être en prison avec Caton que dans la curie avec César. César, qui s’arrêtait toujours à temps, fit relâcher Caton. « Puisqu’on m’y force, dit-il, je vais recourir au peuple. »

Le jour des comices. César avait pris ses précautions : un grand nombre de gladiateurs, d’esclaves et de plébéiens armés de poignards occupaient le Forum. César parut sur les marches du temple de Castor et harangua le peuple. Ce jour-là, Caton n’était pas seul ; le collègue de César, Bibulus, dont le temple de Castor rappelait l’impuissance[1], montra un vrai courage contre cette populace, je suis bien tenté de dire cette canaille, qui le fit rouler au bas du temple e Castor, lui jeta sur la tête un panier d’ordures, brisa les faisceaux de ses licteurs sans que son collègue César intervînt pour le protéger ; ses amis le sauvèrent de la furie populaire, qu’il bravait résolument, et l’entraînèrent par la voie Sacrée dans le temple de Jupiter Stator. Caton, fendant la foule, réussit à gagner un lieu élevé et essaya de parler au milieu de ce tumulte. Les césariens le saisi-

  1. On comparait Bibulus, consul sans importance, à Pollux, auquel était aussi dédié ce temple, que dans l’usage on appelait seulement temple de Castor.