Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme on ne pouvait aller chercher les arbres dans la forêt, on les amenait jusque dans l’intérieur des villes, on en plantait les rues, les bords des canaux, et on aménageait aux portes de la cité des bois tels que ceux de Harlem et de La Haye, où des foules silencieuses et paisibles viennent respirer la fraîcheur sous les vastes rameaux des hêtres et des chênes. Depuis qu’elles ont pu abattre leurs murailles, élevées autrefois pour repousser les Espagnols, les villes hollandaises ont pris un caractère tout à fait agreste. Les remparts sont convertis en promenades, en pelouses vertes qui se marient par échappées aux prairies des environs; les bastions démolis se sont changés en petites collines plantées d’arbres exotiques aux feuillages des teintes les plus variées; les fossés, de divers côtés réunis aux canaux qui traversent le pays, reflètent ces gracieux paysages dans le miroir de leurs eaux immobiles, qu’animent de temps à autre un bateau aux vives couleurs ou quelques cygnes que les jeunes filles apprivoisent et nourrissent comme dans les légendes du Nord. Partout des corbeilles de plantes rares, que les écoles publiques apprennent aux enfans à respecter, embaument l’air ou charment les yeux et donnent à l’ensemble un cachet de soin et d’élégance qui ravit. La campagne embrasse et envahit la ville, qui, tout enfouie sous ses verts ombrages, ressemble avec ses vieux clochers à quelque antique manoir féodal de l’Angleterre posé au milieu d’un parc immense. Ce n’est qu’en donnant un caractère champêtre aux lieux de leur résidence habituelle qu’a pu se manifester ici l’amour de la nature, si prononcé même chez les populations urbaines de la Néerlande; mais quand le chemin de fer aura relié les différentes parties du pays, il faudra que le capital accumulé dans la zone de l’argile aille féconder la maigre région des sables. Trop longtemps ce capital est allé chercher dans les emprunts des états étrangers un placement hasardeux, souvent suivi de pertes effectives et toujours atteint d’une dépréciation inévitable et continue; appliqué à la mise en valeur du sol national, il donnera des profits bien plus sûrs et non moins élevés.

Tel est, dans ses traits généraux, le spectacle qu’offre le domaine agricole de la Hollande. On le voit, dans le grand mouvement progrès matériel qui caractérise notre époque, la Néerlande marche au premier rang. Pour s’y maintenir, elle a tout ce qu’il faut : la liberté, la prévoyance, l’esprit d’association, l’instruction, le capital, des bras, et des espaces à conquérir, non l’épée à la main sur des peuples voisins, mais avec la bêche et la charrue sur la stérilité des sables et des landes.


EMILE DE LAVELEYE.