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fiantes comme le vin ou la bière; ils boivent du café et du thé très faibles et du genièvre, dont souvent ils abusent. Les petits tableaux de l’école hollandaise, les Ostade, les Téniers, les Wouvermans, m’avaient fait croire, comme à tout le monde, que les compatriotes de ces peintres si exacts, si minutieux dans tous les détails, devaient être grands buveurs de bière. En réalité, soit que les habitudes aient changé, soit que les peintres qu’on appelle flamands s’inspirassent plutôt de la Flandre, il est certain que la bière est en Hollande une boisson de luxe qui se vend relativement cher, et il m’est arrivé souvent de n’en point trouver d’aucune sorte dans les villages de la Groningue et de la Frise[1].

Ce qui frappe l’étranger, c’est la part relativement très forte que chaque famille, même parmi les moins aisées et dans les campagnes les plus reculées, consacre à l’entretien de son habitation et de tout ce qui la garnit. Tandis que souvent ailleurs les demeures des ouvriers, et même celles des fermiers ou des métayers, ne présentent que quelques meubles grossiers et sales et des ustensiles ébréchés, ici on trouve jusque dans les plus humbles chaumières tous les bois parfaitement peints, frottés, lustrés, époussetés, les ustensiles de cuivre et d’étain brillans comme de l’or ou de l’argent. Il est peu de ménages qui ne conservent quelque ancien bahut datant de l’époque de la splendeur de la république, c’est-à-dire .du XVIIe siècle, et des porcelaines de Chine du même temps. Ce trait de mœurs date de loin, car l’excellent observateur qu’il faut toujours citer quand il s’agit de l’ancienne Hollande, le chevalier Temple, l’a déjà noté. « De ce qu’ils peuvent épargner, dit-il, après la dépense nécessaire de la maison, ils emploient une partie à augmenter leurs fonds et revenus, et l’autre à embellir et meubler leurs demeures, et de cette façon non-seulement ils accroissent la fortune de leur famille, mais ils contribuent aussi à la beauté et à l’ornement du pays. » Tous les économistes sont d’accord pour donner la préférence à ce genre de dépenses, qu’ils appellent des consommations lentes, par opposition aux consommations rapides, qui sont celles qu’exige la satisfaction des besoins journaliers. Dans le nord, et surtout dans un climat humide comme celui des Pays-Bas, la demeure, le home, a une bien autre importance que dans le midi, où l’on vit en plein air, et déjà les anciennes lois frisonnes parlent avec amour et respect de la chaude habitation où l’on se réfugie quant au dehors tombe la neige et souffle la tempête.

  1. Ce fait, en apparence accessoire, est pourtant d’une grande importance, car le défaut d’une bonne boisson pour le peuple est une regrettable lacune dans l’alimentation publique : il a pour effet de favoriser la consommation des liqueurs alcooliques, si nuisibles en même temps à la santé et à la moralité.