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Au dîner, la conversation fut générale, et Jacques ne laissa paraître aucune émotion. Seulement, dans la soirée, il prit Achille à part. — Sais-tu au juste ce que c’est que M. de Girard ? lui demanda-t-il.

— Je sais qu’il a rendu un service d’argent à mon père et qu’il a voulu épouser ma sœur.

— Tu ne sais rien de plus ?

— Non ; nous autres marins, je ne devrais pas avoir besoin de te l’apprendre, nous ignorons presque toujours ce que font nos familles. On s’y marie, on s’y ruine, on s’y enrichit pendant notre absence, et ce n’est qu’au retour que nous en sommes instruits.

Achille croyait que Jacques était jaloux et qu’il plaisantait.

— Tu as raison, reprit Jacques ; mais, dis-moi, tu n’as point parlé de mon aventure de San-Francisco ?

— Non, répondit Achille.

Il n’en avait point parlé en effet. Comme depuis longtemps déjà il avait eu l’intention de marier son ami à sa sœur, il n’avait point voulu que celle-ci fût au courant des idées, un peu folles selon lui, qui germaient parfois dans le cerveau de Jacques, ni qu’elle s’inquiétât de la singulière mission de vengeance que Gerbaud lui avait donnée.

— Eh bien ! dit Jacques, fais-moi le plaisir de n’en pas parler, et tâche d’avoir quelques renseignemens plus précis sur le compte de M. de Girard.

Achille ne put retenir un mouvement de surprise. Il se douta de la vérité : il regarda M. de Girard et lui trouva une certaine ressemblance avec le portrait que Jacques lui avait fait si souvent du fantastique assassin de Gerbaud ; mais il ne dit point sa pensée à ce sujet. Il eût craint de pousser Jacques plus avant dans la voie de suppositions dangereuses où il semblait prêt à s’engager.

Quelques jours s’écoulèrent, et Achille n’aurait point reparlé de M. de Girard à Jacques, si celui-ci ne l’eût interrogé. Achille n’était guère plus avancé qu’auparavant. M. de Girard, parmi le peu de personnes qui le connaissaient à Paris, avait simplement la réputation d’un homme froid et poli. Achille avait fait causer M. de Girard. Celui-ci, apparemment sans défiance, lui avait dit avoir voyagé dans toute l’Amérique et même séjourné à San-Francisco. Achille n’avait point insisté. Au fond, il ne désirait nullement éclaircir les circonstances de la mort de Gerbaud. S’il les eût éclaircies de façon à mettre en cause M. de Girard, il ne l’eût point dit à Jacques. Enfin il avait appris au ministère de la marine que M. de Girard sollicitait un consulat, et que, par sa fortune et ses relations très honorables à la Martinique, il avait de grandes chances de l’obtenir. Jacques ne