Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aide de ce personnel inconnu, Louis XV aimait à diriger lui-même avec une certaine attention les principales affaires; peut-être, jaloux de tous ceux qui l’entouraient, favoris et maîtresses, goûtait-il le plaisir de pouvoir les contrarier et les combattre sans s’imposer l’effort de leur résister ouvertement. Sa politique cachée se trouva fréquemment plus honorable que la politique avouée du cabinet de Versailles, comme si, ressentant l’humiliation de son gouvernement officiel, Louis XV eût voulu se réserver les moyens de céder quelquefois, sans permettre qu’on le sût, à des velléités qui le ramenaient vers le bien. À ce qu’on savait de cette singulière histoire, les dépêches du comte de Creutz, ministre suédois à Paris, ajoutent de nombreux détails. La diplomatie secrète faillit être découverte en 1773, précisément par suite des efforts que le roi voulait tenter en faveur de Gustave III. Il s’agissait de savoir comment on ferait passer en Suède, si cela devenait nécessaire, les secours qui avaient été promis. Le duc d’Aiguillon, soucieux avant tout de ne point blesser l’Angleterre, se résignait à embarquer nos soldats sur des navires britanniques ; d’autres conseillers de Louis XV et le roi lui-même voyaient au contraire dans cette démarche un aveu de faiblesse trop humiliant. Le duc d’Aiguillon, devenu ministre par la seule faveur de Mme Du Barry, n’avait jamais été initié à la diplomatie secrète et n’en savait absolument rien; mais son collègue M. de Monteynard, ministre de la guerre, en faisait partie, et tenta par ce moyen de rendre inutiles toutes les mesures de d’Aiguillon, en faisant lever en Allemagne un régiment étranger qu’on enverrait de là directement en Suède. Dumouriez, qui préludait à sa célébrité prochaine par une vie d’aventures, chargé de se rendre pour ce dessein à Hambourg et dans le Nord, vint demander à Creutz des lettres de recommandation, sans révéler son but secret, prétextant au contraire un voyage de plaisir ou d’affaires personnelles. Creutz conçut fort maladroitement des soupçons et avertit le premier ministre, que certains autres indices, particulièrement des lettres détournées par Mme Du Barry, avaient déjà mis en garde. D’Aiguillon aperçut une partie de la vérité, mais ne put se dissimuler que le roi était derrière ces intrigues. Voulant néanmoins satisfaire son dépit en arrêtant, s’il le pouvait, des menées qui lui étaient contraires, assuré d’ailleurs par Mme Du Barry de n’avoir rien à redouter pour lui-même de la faiblesse de Louis XV, qu’elle surveillerait, il se détermina à frapper ceux que le hasard offrit à ses coups.

Sous le prétexte d’un grave complot découvert, il fit arrêter Dumouriez avec deux ou trois autres personnages qui furent enfermés à la Bastille. Le comte de Broglie, sur le témoignage de quelques