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premier succès de mon entreprise; la suite en a encore été heureuse, et la main de la Providence, qui m’a si visiblement soutenu, m’a conduit jusqu’à ce moment. Il n’y a personne dans tous mes états qui ne témoigne la joie la plus marquée et la confiance la plus entière en ma personne. Il serait heureux que mes voisins fussent dans les mêmes sentimens ; mais il ne me reste que trop d’incertitude sur leur façon de penser. Le roi de Danemark, à la vérité, a déjà témoigné une satisfaction entière sur le grand changement qui vient de se faire ici; mais pour les sentimens de l’impératrice de Russie et du roi de Prusse, je les ignore encore, n’ayant point eu de réponse aux lettres que je leur ai d’abord écrites après l’événement du 21 août dernier, et qui étaient pleines d’assurances de mes vues pacifiques à leur égard. Je dois pourtant juger, par les éclaircissemens qui me sont venus par la reine ma mère, que le roi de Prusse est médiocrement content de ce qui s’est fait ici. On parle même d’un traité conclu en 1769 entre lui et la Russie, qui doit les engager mutuellement à perpétuer les désordres dans mon royaume en soutenant la constitution anarchique que je viens d’abolir. Malgré cela, j’ai trop bonne opinion de la sagesse et de l’équité de ces deux cours pour imaginer qu’elles voudront m’inquiéter, dans la situation où elles se trouvent en ce moment, au sujet d’un arrangement qui ne regarde que l’administration intérieure de mes états, dans laquelle elles n’ont aucun droit de se mêler. Je suis résolu d’user envers elles de la modération la plus parfaite, afin de les convaincre encore davantage de la droiture de mes vues; mais si, malgré mon attente, malgré mes soins, malgré l’équité, le droit des gens et les liens de la nature, elles voulaient m’inquiéter, forcé à une juste défense, je me trouverais contraint à opposer la force à la force. Je me flatte que votre majesté ne m’abandonnera pas à la fureur d’ennemis qui ne le sont que parce qu’ils connaissent mon attachement inviolable pour elle, et que je trouverais toujours dans son cœur les mêmes sentimens dont elle m’a si souvent donné des preuves si évidentes, et dont l’assurance a soutenu mon courage parmi tous les dangers que j’ai courus. Il me sera toujours doux de pouvoir y compter, tout comme je ne désire rien avec plus d’ardeur que de pouvoir convaincre votre majesté de la haute estime et de la tendre amitié avec lesquelles je suis, etc. »


Quelques jours après, des bruits de préparatifs hostiles arrivaient au cabinet de Stockholm, et Gustave se hâtait d’en faire part à Louis XV.


« 8 octobre. — J’avoue que je ne comprends rien à la conduite du roi de Danemark à mon égard. Il a, par son ministre, donné à votre majesté des assurances qui, dans d’autres circonstances, devraient paraître suffisantes; il vient d’en donner également au mien, et, malgré cela, il fait faire des préparatifs si formidables en Norvège, que tous mes sujets sur la frontière en sont alarmés. Si c’est de concert avec quelque autre cour, ou si l’on se flatte de pouvoir exciter quelques mécontentemens dans l’intérieur de mes états, je l’ignore; mais en attendant j’ai cru essentiel de me présenter moi-même sur la frontière. »