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d’Hessenstein et le sénateur comte Ribbing firent tomber la conversation sur la révolte de Christianstadt. Comme le roi répétait ces seuls mots : « cela est étrange, cela est singulier, » le comte Ribbing, fixant sur lui de hardis regards, osa dire à haute voix que le plus singulier et le plus étrange était le récit de l’officier de garde à la porte de la forteresse, lequel avait affirmé que rien ne s’était fait que par l’ordre du roi lui-même. « Vous vous trompez, répondit aussitôt Gustave sans se troubler un instant; j’étais présent quand Rudbeck fit son rapport devant le sénat : c’est la sentinelle qui a dit cela et non l’officier; le mieux informé devait être certainement l’officier. » Le lendemain 18, nouvelle et longue visite du baron Rudbeck. Gustave lui parut cette fois évidemment distrait : il était tout occupé d’un point de broderie dont il avait promis le dessin pour le soir même à une dame de la cour. Rudbeck ne manqua pas de rapporter ce détail aux chefs du parti, en leur assurant du fond de son âme que « le personnage ne serait jamais dangereux. »

Ce fut seulement dans la journée du 18 que Gustave III reçut le message du prince Charles, qui lui apprenait la réunion sous ses ordres de cinq régimens, sans l’appui desquels rien ne pouvait être sagement tenté dans la capitale. Les états, de leur côté, avaient pris de graves mesures : envoi de troupes pour châtier Hellichius, ordre à deux bataillons casernes dans les provinces voisines d’accourir, rappel des deux frères du roi, invitation formelle à Gustave lui-même de ne pas quitter la ville ; de plus, le régiment de Gederstrom devait être à peu de distance : chaque parti observait l’autre, et il ne s’agissait plus que de savoir lequel agirait le plus sûrement et le plus vite. Gustave prit donc une résolution définitive pour le lendemain. Sa dissimulation fut parfaite pendant les dernières heures qui précédaient l’acte suprême d’où sa destinée et sans aucun doute celle de son pays dépendaient. Le soir même du 18, il assista à la représentation du premier opéra donné en langue suédoise : Thétis et Pélée ; un brillant souper réunit ensuite toute la cour; Gustave témoigna une insouciante gaîté, joua gros jeu pendant le reste de la soirée, et gagna une forte somme à la baronne Pechlin, femme du plus redoutable d’entre ses adversaires. La nuit fut bien employée : une fois ses invités partis, Gustave écrivit quelques lettres; par celle qu’il destinait à son frère Charles, il exprimait son espoir du succès, mais il le conjurait, dans le cas contraire, de ne pas venger sa mort. Un billet avertissait M. de Vergennes de la décision prise irrévocablement pour le lendemain. Gustave sortit ensuite du château pour aller, comme il le faisait depuis quelque temps, visiter les différens postes de la ville; nul ne pouvait apparemment lui reprocher de veiller de sa personne aux précautions de sûreté publique, et il y gagnait de connaître par lui-même les dispositions de ses ennemis.