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publique : il voulut la faire imprimer, mais ses adversaires lui opposèrent alors une équivoque légalité; l’impression dut se faire en secret, ainsi que la distribution d’innombrables exemplaires. Les états poursuivirent l’éditeur sans oser monter jusqu’au roi, et le but que Gustave se proposait commença d’être atteint : il passa dès lors pour le vrai protecteur du peuple contre ses nombreux tyrans. La presse politique, dont ses adversaires faisaient un perpétuel usage, était un organe trop puissant pour qu’il négligeât de s’en servir; il eut, lui aussi, ses pamphlétaires anonymes, qui réfutaient pied à pied les doctrines des états. Thiébaut, l’auteur des Souvenirs sur Frédéric le Grand, raconte que la mère de Gustave III, présente à Berlin, le chargea un jour, bien à l’improviste, de lui composer très vite une brochure destinée pour la Suède, et où serait démontrée la nécessité d’une royauté forte pour le bonheur des peuples. Son embarras était grand, dit-il, vu qu’il n’avait jamais réfléchi aux théories politiques ; mais la sœur du grand Frédéric le sermonna si bien, avec une telle énergie d’expression et de pensée, qu’il n’eut pas de peine à lui apporter après quelques jours un pamphlet très convenable. Thiébaut ne dit pas qui des deux fit les frais d’invention pour le titre : Les adieux du duc de Bourgogne et de Fénelon, son précepteur, ou Dialogue sur les différentes formes de gouvernement. Une première édition fut imprimée clandestinement à Berlin pour être aussitôt envoyée et distribuée en Suède; une seconde parut plus tard à Paris, en 1788, pour préparer les voies à un second coup d’état de Gustave III. Parmi les pamphlets composés en Suède même sous l’inspiration immédiate du roi et le plus souvent en français, il faut signaler celui qui a pour titre : Réflexions sur la corruption des mœurs des Romains vers la fin de la république, et sur le renversement de leur gouvernement républicain, qui en fut la suite naturelle. Une lettre d’un des frères de Gustave III, datée du mois d’août 1771, et qu’on a imprimée, félicite l’auteur pour l’à-propos et la dextérité des allusions mêlées à sa prédication indirecte, et prouve en même temps que dès cette époque le jeune roi, épiant l’occasion d’opérer quelque grande et subite réforme, faisait provision d’argumens pour présenter une telle entreprise comme fondée en droit et comme autorisée par des précédens historiques.

Gustave eut soin surtout d’entretenir les bonnes dispositions du cabinet de Versailles; au milieu de sa lutte patiente contre les états, il écrivait à Louis XV[1] :

  1. Les originaux autographes de cette lettre de Gustave III et de celles qui vont suivre sont conservés dans la correspondance politique de Suède, aux archives des affaires étrangères de France.