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demain la tête du grand-vizir, il nous écrirait que cela est dangereux, mais il nous l’enverrait. » Une solidarité constante unissait la Turquie et la Suède, toutes deux menacées par de communs ennemis, surtout par les Russes, et liées entre elles par un échange nécessaire de diversions réciproques. Aussi M. de Vergennes, après avoir combattu de Constantinople la ligue du Nord, se trouva-t-il naturellement désigné pour aller lutter en Suède contre les mêmes adversaires. Le crédit de Choiseul avait récemment procuré cette ambassade à M. d’Usson, fort accueilli de Gustave III lors de son voyage en France; mais le duc d’Aiguillon, qui cédait volontiers à ce plaisir secret de défaire tout ce qu’a fait un prédécesseur, ne confirma pas le choix de M. d’Usson, qui déjà se préparait à partir, et M. de Vergennes, que Choiseul avait depuis deux années rappelé de Constantinople, fut nommé à sa place (mars 1771), Ses instructions, probablement rédigées par lui-même, étaient ainsi conçues[1] :


« ... Bien que les deux partis qui ont divisé la Suède aient concouru presque également à l’avilissement et à la décadence de leur patrie, ces maux ne seraient cependant pas incurables, si la nation voulait enfin se réunir sous les auspices de son roi dans des principes uniformes de zèle pour le bien général. Il faudrait, pour cet effet, déraciner les partis, et qu’ils ne s’occupassent de concert que des moyens de rétablir l’ancienne considération de leur royaume soit au dehors soit dans l’intérieur. C’est un objet important que le comte de Vergennes ne doit pas perdre de vue. Il doit travailler à rapprocher les esprits et à faire sentir aux deux cabales, qui ont violé tour à tour les lois d’une saine politique, détruit la confiance et le crédit, ruiné le commerce, découragé l’industrie, que tous ces désordres sont le fruit honteux de leur diversité d’opinions et de sentimens, qu’il est plus que temps qu’on ne connaisse plus les Suédois par ces noms ridicules de chapeaux et de bonnets, et qu’on y substitue la dénomination naturelle de zélés et vertueux citoyens. À cette condition seulement, le roi consent à regarder toujours la Suède comme son ancienne amie et son alliée la plus constante... Sa majesté a résolu de payer les arrérages des subsides qui restaient dus à la Suède et qui avaient été suspendus; elle a destiné pour cela une somme de 1,500,000 francs par an, qui seront acquittés successivement, à commencer du quartier de janvier 1772. Indépendamment de cela, le roi appuiera de ses finances le succès de la prochaine diète. — M. le comte de Vergennes passera à Copenhague. Il serait de l’intérêt réciproque de la Suède et du Danemark de se tenir étroitement unis pour maintenir l’équilibre du Nord contre les vues de la Russie et pour mettre un frein à ses projets d’ambition et de despotisme. La France avait autrefois efficacement contribué à établir entre ces deux anciennes couronnes une liaison si analogue à leurs avantages ; il serait fort à désirer que leur union politique fût une suite des liens du sang qui subsistent entre les deux souverains. »

  1. Archives des affaires étrangères à Paris.