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urbain. Destitué en 1861, il se mit en campagne l’année suivante, au mois d’avril, avec soixante hommes. Il pratiquait modérément le brigandage, ne volant que le strict nécessaire et ne tuant point ceux qui lui refusaient de l’argent. Rien de plus singulier que son expédition de Vallerotonda. Il entra une nuit dans ce village sur la prière de quelques habitans; il n’avait avec lui que vingt-cinq compagnons, tous sans armes. Il se rendit au corps de garde, qu’il trouva par hasard ouvert et désert; il y prit dix-huit fusils, après quoi, sans colère, sans violence, il alla visiter un à un dans leurs maisons tous les gardes nationaux, les priant de lui livrer leurs armes. Tous obéirent, et Centrillo rassembla ainsi cinquante-sept mauvais fusils, la plupart hors de service, qu’il emporta tranquillement. Il fit ensuite une réquisition de pain, de fromage et de vin pour sa bande, prit fort peu d’argent (50 ducats en tout), et s’en alla comme il était venu, sans faire de mal à personne. La troupe était à quelques milles de Vallerotonda : elle fut avertie de ce qui était arrivé par le syndic d’un village voisin trente-six heures après. L’entrée de Centrillo à Cardito, son village natal, n’est pas moins curieuse. Il s’y rendit en plein soleil un beau jour de juillet, et ne demanda que du pain, du fromage et du vin, qu’il but tranquillement avec ses hommes; puis il fit le tour du village, confisqua en passant des fusils et accepta quelque argent du caissier communal, qui voulut bien le lui offrir; il en donna quittance. Apercevant le portrait de Victor-Emmanuel, loin de le décrocher et de le mettre en pièces, comme eussent fait Chiavone et les autres, il le salua poliment. Après sa promenade, il resta deux heures encore à Cardito, trinquant avec ses amis, puis il remonta sur les hauteurs de Mainarde. Il attaqua bien deux ou trois maisons de campagne, mais je ne crois pas qu’il ait commis d’autres méfaits. Battu par les troupes, il se réfugia dans les états romains, où les Français le prirent et ne voulurent pas le rendre au général Govone, qui le réclamait; cependant ils le consignèrent plus tard à la frontière toscane. En visitant, il y a quelques mois, la prison de la Vicaria, il m’a été permis de le voir et de causer avec lui; j’avoue qu’il m’a gagné par un air de bonne humeur et de franchise. Avec son front carré, ses yeux très vifs, il paraît alerte et résolu, mais rien en lui ne repousse.

Parmi les bandits honnêtes, on cite encore Pasquale Romane, surnommé le sergent de Gioia ; sa bande fut détruite le 5 janvier 1864 par une charge brillante de chevau-légers de Saluées, admirablement secondés par les gardes nationaux. Pasquale Romano tomba mort avec vingt et un de ses compagnons; on trouva sur lui divers papiers, une formule de serment très étendue et une suite de notes intitulées mélancoliquement le mie Disgrazie (mes malheurs). J’en extrais textuellement les lignes suivantes :