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jours sans doute des exceptions honorables, je pourrais nommer bien des pasteurs, notamment des évêques des Calabres, qui ont fait des efforts sérieux contre le brigandage et obtenu la soumission de bandes entières; j’en connais d’autres qui font le coup de feu contre les malfaiteurs; j’en pourrais nommer un qui partait bravement, son fusil sur l’épaule, en quête des scélérats du pays, qu’il connaissait tous. S’il en avisait quelque part, il les couchait en joue et les manquait rarement; puis, voyant tomber son homme, il courait à lui, recevait sa confession, si le moribond pouvait la faire encore, et lui donnait l’absolution catholique, après quoi il l’achevait. Ces exemples sont rares. Le plus souvent c’est le bandit qui est le favori du prêtre, et le bandit mérite en général cette faveur par une dévotion vraiment édifiante. Les jours maigres, il tue sans scrupule un homme, mais il ne mangerait certes pas de viande. Il a de saintes images sur la poitrine, il chante des litanies dans les bois, se confesse exactement et fait pénitence. Avant de se mettre en campagne, il se courbe sous la bénédiction d’un prêtre, et ce prêtre le rend invulnérable par l’inoculation d’une parcelle d’hostie consacrée qui lui est insinuée dans le pouce de la main.

Ainsi les deux puissances dont s’était servi Ferdinand pour maintenir l’ordre dans son pays, la police et le clergé, travaillèrent, depuis la révolution, pour le désordre. Les anciens sbires se firent brigands; les nouveaux, par maladresse ou par mauvaise foi, furent inutiles. Les prêtres s’éloignèrent du feu : loin de l’éteindre, quand ils s’en approchaient, ce fut trop souvent pour le raviver. On vit des capucins fournir aux bandits non-seulement un asile, mais des vivres et des munitions. Des soldats se déguisèrent en brigands pour les surprendre; ils furent reçus dans le couvent (c’était l’an dernier, dans la province de Salerne) avec des effusions de joie et d’amour. « Nous avons ici, leur dit-on, assez de provisions pour accueillir une bande de quatre cents hommes. » On vit même en novembre 1862, aux environs de Lucera (Capitanate), dans un combat où les lanciers de Montebello défirent une forte bande, quelques prêtres furieux dans les rangs des malandrins. Avec de pareilles excitations, faut-il s’étonner que tant de paysans incultes et farouches, n’ayant d’autre frein religieux et moral que la peur de l’enfer, se soient jetés dans la campagne? En guerroyant à leur manière, ils se vengeaient des bourgeois, prenaient leur argent, leurs chevaux, leur bétail, au