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verser, tout ce qu’ils voulaient. Ainsi se forma ou plutôt se réveilla ce brigandage indigène, le seul qui soit vraiment sérieux, vraiment terrible, et qui, n’étant politique que d’occasion, se perpétuera, plus ou moins développé, sous toutes les dynasties, tant que le peuple aura faim.

Si Ferdinand II avait pu ajourner la crise, c’est qu’il tenait dans sa main la police et le clergé : ces deux recours manquèrent au nouveau régime. Abattue dans les villes et dans les campagnes par la rancune des lazzaroni et des paysans, l’ancienne police fournit ses renforts au brigandage ; on vit les sbires et les gardes urbaines se jeter dans les bois avec les malfaiteurs qu’ils avaient autrefois combattus. La police nouvelle, improvisée pendant la révolution, fut détestable. Elle se recruta dans les villes parmi les camorristes et dans les campagnes parmi des hommes sans ressources et sans valeur, qui se laissaient trop aisément tromper ou corrompre. Jamais policier ne sut dire aux soldats italiens en quel endroit étaient cachés les brigands, qui entretenaient impunément des intelligences partout, et qui disparaissaient, à peine entrevus, comme dans des trappes. Quant au clergé, au lieu de servir la société contre le brigandage, il se tint à l’écart, dans une abstention coupable, et servit plutôt le brigandage contre la société. Il est vrai que le pouvoir se comporta avec lui d’une façon forcément embarrassée, ne sachant s’il devait le combattre ou le ménager. Tantôt caressé, tantôt maltraité, le clergé comprit qu’il avait affaire à une hostilité tempérée par la faiblesse. Rien ne rend plus hardi qu’une agression irrésolue; les prêtres subissaient d’ailleurs l’influence de Rome. De force ou de gré, par devoir ou par rancune, ils en vinrent donc à déclarer la guerre au nouveau maître. La guerre une fois déclarée, ils ne tardèrent point à seconder le brigandage, au moins par une sorte de complicité passive qui se bornait à le laisser faire ; mais dans bien des endroits cette tolérance alla jusqu’à l’absolution, et dans quelques autres, activée par le fanatisme, elle tourna en excitation violente; on enrôlait des bandits au confessionnal. Bien plus, on vantait leurs tristes exploits du haut de la chaire[1]. Il y a tou-

  1. En décembre 1862, dans une des églises de Naples, devant une foule compacte, un prédicateur osa dire : « Nos frères les brigands remportent la victoire dans plusieurs provinces de l’Italie, et ils la remporteront toujours, parce qu’ils se battent contre le roi usurpateur. La Madone nous fera le miracle de chasser l’usurpateur du royaume. » A Naples encore, dans une autre église, durant la neuvaine de l’immaculée-conception, un autre prédicateur se laissa entraîner à cette apostrophe : « Vierge immaculée, je ne te croirai plus vierge, si tu ne fais pas revenir nos souverains adorés, Marie-Sophie et François II.» Les bandits avaient quelquefois des aumôniers; l’un des chefs les plus connus, Pasquale Romano, qui exerçait son métier dans la terre de Bari, faisait dire une messe régulière et périodique (il la payait exactement) dans une chapelle rurale; on l’appelait dans le pays la messe des brigands. Un autre, surnommé le prince Louis (il principe Luigi), ayant échappé aux lanciers de Montebello, fit peindre un tableau où il était représenté lui-même arraché d’entre les mains des Piémontais par la vierge des Carmes, qui accourait à son secours. Il se trouva un peintre pour exécuter la scène; il se trouva même un prêtre qui reçut l’image sacrilège et la fit solennellement placer dans une église publique, celle de Monte-Sant’Angelo. Le peintre et le prêtre furent appelés devant les juges de Lucera, qui les acquittèrent.