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eut toujours des bandes en communication directe et constante avec le comité de Rome. On sait exactement de quelle manière elles étaient recrutées, équipées, entretenues, quel marchand du Ghetto fournissait les uniformes, par quel subterfuge ces capotes militaires se vendaient publiquement et impunément, quel apothicaire très connu tenait un bureau d’enrôlement dans sa boutique, et comment dans Rome même était organisée toute cette conspiration bourbonienne entre la famille détrônée, les émigrés actifs, la police pontificale et tous les principaux coryphées de la réaction. Des lettres interceptées prouvent la connivence des autorités romaines, dénoncent les prélats qui secondaient ces entreprises insensées, désignent les couvens où les bandes étaient accueillies, hébergées et cachées dans des asiles inviolables, dont l’accès était interdit aux troupes françaises aussi bien qu’aux troupes italiennes. On a même des dépêches officielles de gendarmes pontificaux, portant les armes du pape, dans lesquelles tel brigadier traite d’excellence le signor don Luigi Chiavone, général en chef des armées de François II; tel autre communique à son commandant le soin qu’il a pris d’escorter un convoi de bandits en échappant à la vigilance des soldats français. Tout prouve enfin que les comités bourboniens et la cour de Rome assistaient de toute manière cette légion sacrée d’aventuriers venant de tous les pays du monde et rôdant sur toute la ligne des frontières, d’où elle s’élançait à l’improviste tantôt sur quelque point dégarni de troupes, tantôt sur quelque village où les autorités étaient souvent du complot[1].

Malgré l’insuccès de Borjès, on ne renonçait pas cependant à discipliner les brigands. Le comité leur envoya un autre Espagnol,

  1. On n’assistait pas seulement les bandes, on les affichait en quelque sorte. « C’est la bande montre (écrivait un habitant du pays) que l’on fait passer en revue par les amis qui viennent à Rome et veulent avoir une idée de l’armée des fidèles en campagne : elle compte beaucoup plus d’officiers que de soldats; les colonels et les capitaines d’état-major y foisonnent; c’est à elle que sont attachés tous les brigands amateurs de la légitimité; elle se maintient sur les hauteurs entre Frosinone et Sora, mais sur le territoire romain, afin d’être à l’abri de toute surprise et de permettre à ces messieurs de dormir sur leurs deux oreilles. Les beaux officiers sont en courses continuelles de la montagne à Rome et de Rome à la montagne (affaire de quelques heures de voiture) pour porter les dépêches échangées entre le général Chiavone et sa majesté François II. On sait ce qu’est Chiavone : une plaisante invention de l’évêque de Sora, derrière laquelle se cachent les sommités militaires du brigandage officiel, qui ont toujours tenu à ne pas s’éloigner de la caisse et de Rome. Cela vaut à Chiavone de pouvoir arracher de temps à autre quelques sommes au ministre de la guerre in partibus de François II, et franchement on les doit bien au pauvre diable, car sa bande, plus prudente que les autres, fût morte de faim, si elle n’avait eu pour se soutenir que ses propres exploits; les deux ou trois fois qu’elle a eu la malencontreuse idée d’en tenter elle en a rudement payé les frais. »