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en tuant l’Erario ; dès lors il devient fuorgiudicato, c’est-à-dire bandit, outlaw, et prend la fuite. Il vit d’abord à Rome, où il continue son métier de pourfendeur ; ayant détruit deux de ses ennemis, il doit quitter la ville éternelle. Il revient à Naples, bien muni de poudre et de balles, et doit s’arrêter en chemin, dans un monastère, où il est bien traité par tous les religieux, qui sous tous les régimes, on ne sait trop pourquoi, ont protégé les bandits. Cependant Agostino Avossa s’éprend bientôt d’une jeune fille de Borgo di Loreto. Ils s’aiment tant, dit le poète, qu’ils paraissent mari et femme ; c’est le plus haut point de la passion : tout est singulier dans ce pays. Avossa sort souvent du saint lieu pour aller voir sa bien-aimée. Avertie du fait, la cour (on nomme ainsi le gouvernement dans les poèmes du Môle) envoie quatre capitaines et quarante soldats pour arrêter le bandit. À partir de ce moment, toute la vie de ce terrible homme n’est qu’une suite d’étranges prouesses ; il tue un des soldats de l’escouade, saute par une fenêtre, chasse trois sbires en brandissant son fusil et enfonce la porte d’un couvent. Les moines tremblent. « Ne craignez rien, leur dit-il, vous devez me connaître : je suis Agostino. » Rassurés, les religieux l’accueillent ; mais survient la cour (toujours la force armée), et le fugitif est prisonnier. On le conduit aux prisons de l’archevêché, et le peuple accourt en foule pour le voir, en disant avec admiration que cet homme seul remplissait le monde de son nom. À peine enfermé, Agostino s’aperçoit que deux autres détenus veulent le faire mourir (c’est un tradimento) ; il les tue (c’est une vendetta). « Comme Judas trahit Jésus pour un peu d’argent, ces deux traîtres voulaient me donner la mort ; je les ai châtiés, dit Agostino à l’abbé des prisons, qui l’attendait pour se mettre à table : maintenant dînons ! » Mais la cour, en apprenant ces nouvelles prouesses, est assez barbare pour mettre des fers aux pieds du héros ; il les brise, il enfonce les murs et va échapper encore une fois, quand il est repris par malheur et jeté dans un fossé du château Saint-Elme. Avossa ne se décourage pas pour si peu de chose ; il suborne un factionnaire allemand qui gardait la forteresse et s’évade avec lui un beau matin. On voit que les désertions, si fréquentes aujourd’hui, datent de loin ; le peuple les trouve toutes naturelles. À peine libre, que fait le brigand ? Il se rend à Bosco, chez un curé de ses amis, qui le serre dans ses bras en le couvrant de baisers et de larmes. « Mon cher fils béni (caro figlio benedetto), lui dit le prêtre avec un pur amour (con puro amore), pense à ta vie ! » Cette première visite faite, Agostino va voir ses parens et ses amis, reçoit de l’argent, des armes et des munitions, et court les montagnes. Attaqué par les troupes royales, il fait des prodiges de valeur. Il se précipite enfin du haut d’un rocher et tombe de chute