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elle enlève jusqu’aux maladies du corps produites par les péchés des existences antérieures. Voici l’époque où cette source fameuse jouit de son entière efficacité... D’innombrables pèlerins iront s’y plonger ; pars, mon fils, et tu nous reviendras délivré du malaise dont tu souffres...

Poussé par le désir de chercher au dehors un peu de distraction, Dévadatta se montra docile aux conseils de son père adoptif. Il se sentait à l’étroit dans ces pagodes, jointes entre elles par une muraille épaisse qui donne à leur ensemble l’apparence d’une forteresse. La saison d’hiver, si délicieuse dans l’Inde par sa sérénité et sa fraîcheur comparative, rendait d’ailleurs le voyage moins pénible. Il s’agissait de faire une cinquantaine de lieues tout au plus au milieu d’un grand concours de peuple qui rendait la route moins ennuyeuse et plus sûre. — Peu m’importent l’étang de Combaconam et ses eaux merveilleuses, se disait Dévadatta; ce que je veux, c’est changer d’air et contempler encore à mon aise ces campagnes tranquilles que j’ai parcourues si souvent dans mon enfance. — Par-delà l’étang et le village de Combaconam, lui apparaissait, sans qu’il se l’avouât, le gracieux et pur visage de Nanny, toujours présent à son souvenir. Une fois sorti de l’enceinte des pagodes de Chillambaram, il reprit l’entière possession de lui-même, et marcha d’un pas léger sur ces chemins poudreux que remplissait déjà un nombreux cortège de pèlerins de tout âge et de tout rang. Il se trouvait enfin au milieu de ses semblables, dans la véritable acception du mot : c’était l’humanité et non plus une caste privilégiée qui s’agitait autour de lui.

A mesure qu’il s’avançait, le flot des voyageurs allait grossissant. Toutes les misères, toutes les hideuses maladies de l’Inde étaient représentées dans cette foule avide de guérison qui se hâtait vers la piscine miraculeuse. Il y a dans le cœur de l’homme un invincible besoin de croire à une vertu surnaturelle, de se confier en une Providence qui veille sur lui et qui doit exaucer ses prières. La différence qui existe sur ce point entre les chrétiens et les idolâtres, c’est que ceux-ci exigent des dieux auxquels ils offrent des sacrifices l’accomplissement de leurs souhaits à heure fixe, sous peine d’invectives et de révolte, tandis que ceux-là s’humilient par la prière, et, se courbant sous la main qui les afflige, tâchent de mériter par l’exercice des vertus les grâces qu’ils demandent. Dévadatta avait connu et pratiqué la prière qui s’élève du fond d’un cœur contrit et touché; aussi considérait-il avec des sentimens de compassion ces milliers de pèlerins courant en désordre, avec des cris confus et des chants licencieux, vers le point désiré où une divinité mal définie devait opérer tant de miracles. Au fond de son âme, il rougissait de cette crédulité stupide qu’il avait l’air de par-