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paroles. Quand sa main toucha la peau froide du reptile, qui tordait ses anneaux en cherchant à fuir, elle la retira précipitamment, arracha le bandeau qui couvrait ses yeux, et tomba évanouie aux pieds du pourohita.

— Malheureuse idiote! murmura celui-ci, elle n’a pas deviné que ce serpent est aussi inoffensif qu’un lézard!

Puis, se redressant avec dignité : — Je prends sur moi les périls de l’épreuve, ajouta-t-il; que les dieux me protègent!

Il se mit alors à prononcer d’une voix rauque et gutturale la formule magique à laquelle les Hindous attachent une puissance irrésistible : Il’hom, h’rhom, sh’hrum, sho’hrim, rmaya, namaha ! En achevant cette incantation, il plongea lentement la main dans le panier.

Les assistans paraissaient attendre avec anxiété les résultats de l’épreuve, à l’exception du père Joseph, qui, connaissant de longue date les supercheries des brahmanes, s’indignait qu’on le forçât d’être témoin d’une scène aussi dérisoire. La pauvre idiote, que l’on ne songeait pas à relever, demeurait sans mouvement sur le sol. Quant à Déodat, bien qu’il eût reçu une éducation chrétienne, il ne pouvait s’empêcher de croire à la vertu diabolique de ces paroles bizarres, que pour rien au monde il n’eût voulu répéter, de peur d’évoquer le malin esprit. Le serpent, maudit par la Bible et considéré par les Hindous comme un animal surnaturel, lui inspirait à la fois de la répulsion et du respect. Dans cette circonstance, qui pouvait avoir pour lui des suites si sérieuses, le néophyte redevenait aussi crédule qu’un idolâtre. Aussi, quand il vit le pourohita retirer tranquillement sa main et montrer d’un air triomphant la pièce de monnaie qu’il tenait entre ses doigts, il fut ébahi. La pensée que Kalavatty l’idiote était sa mère pénétra profondément dans son esprit, et, saisi de pitié, il s’élança vers elle pour lui prodiguer ses soins.

— Tout cela n’est que mensonge et jonglerie, répéta avec énergie le père Joseph. Apportez le serpent, et je risque l’épreuve, moi aussi!... Déodat, tu es la victime d’un odieux complot!

Padre, dit le néophyte à voix basse, cette femme est ma mère, n’est-ce pas?... Je dois la suivre.

— Non, répondit le vieillard, cette femme ne peut être ta mère, j’en ai la conviction. La mère ou plutôt la marâtre qui te réclame, qui veut t’arracher d’auprès de moi, c’est l’idolâtrie avec ses joies mauvaises et ses plaisirs honteux, vers lesquels il te tarde de t’élancer.

Padre, reprit le jeune homme, je ne fais qu’obéir au devoir... N’allez pas me maudire!

— Je ne te maudirai pas, enfant, répondit le missionnaire; je