Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Effrayée par cette sommation, que le pourohita prononçait d’une voix terrible, Kalavatty s’avança lentement. Elle resta quelques secondes immobile devant Déodat, que les trois brahmanes tenaient par les bras pour l’empêcher de fuir, leva les yeux vers le ciel, comme si elle eût voulu recueillir ses souvenirs, puis elle jeta un cri perçant : — C’est là l’image de l’époux que j’ai perdu! Je reconnais ce signe qu’il portait au front !

— C’est ton fils, reprit le pourohita ; les dieux te l’ont rendu!

— Oh! oui, répéta la pauvre idiote. Vous en êtes bien sûrs?

— Elle l’a reconnu, dit le pourohita, cela nous suffit; mais il faut maintenant que l’imposture du prêtre chrétien soit confondue... Entrons !

Au bruit que firent les brahmanes en s’avançant tumultueusement vers lui, le père Joseph se redressa sur son fit de douleur. — Qu’est ceci? que me veulent ces gens? demanda-t-il en français.

Déodat n’osait s’approcher du missionnaire. — Mon enfant, reprit celui-ci, réponds-moi : que me veulent ces païens?... Ah! mon Dieu, mon Dieu! répéta-t-il en joignant ses mains, que la fièvre rendait tremblantes, tu portes au front le signe de l’idolâtrie!... Que signifie ce costume?

Les brahmanes n’avaient pas compris ces paroles, prononcées en français, mais ils en devinaient le sens. — La mère de ce jeune homme est ici, dit le pourohita; elle réclame ce fils que tu lui as dérobé.

— Qu’elle vienne! répondit le père Joseph.

Kalavatty fut introduite. — Non, reprit le vieillard, cette femme ne ressemble en rien à celle que j’ai rencontrée dans le djungle. Ce n’est pas elle...

— Eh bien ! interrompit le pourohita, il y a un moyen de connaître la vérité : quand la raison humaine ne suffit pas à éclaircir un mystère, les dieux lui viennent en aide.

Parlant ainsi, il ouvrit furtivement un panier que portait l’un de ses compagnons, et y laissa tomber une pièce de monnaie. — Quelle jonglerie veux-tu faire là? demanda le père Joseph.

— Silence! cria le pourohita. Les dieux vont faire éclater la vérité. Entre l’assertion de cette femme et tes dénégations réitérées, c’est à eux de juger.

Aussitôt il banda les yeux de Kalavatty, qui se laissa faire machinalement, et lui dit d’une voix solennelle : — Plonge ton bras au fond de ce panier, dans lequel est enfermé un serpent, et retires-en la pièce de monnaie que je viens d’y jeter. Si la bête venimeuse ne t’a pas mordue, ta parole sera reconnue vraie dans les trois mondes : ce jeune homme est bien ton fils.

La pauvre femme paraissait n’avoir pas compris le sens de ces