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DÉVADATTA
SCENES ET RECIT DE LA VIE HINDOUE.


I. — L’ORPHELIN.

Il y a déjà quelques années, au printemps, une épidémie meurtrière ravagea plusieurs provinces de la presqu’île indienne. Dans le Tandjore surtout, la mortalité fut si grande que les vivans ne suffisaient plus à rendre les derniers devoirs aux morts. Les pagodes ne retentissaient plus du bruit des instrumens qui accompagnent les sacrifices; la conque marine ne résonnait plus sous les voûtes des temples. Les brahmanes, fatigués d’implorer en vain la miséricorde de leurs dieux, renonçaient à déposer aux pieds des idoles les offrandes accoutumées. A la confiance la plus aveugle dans l’effet des incantations et des prières magiques succédait le plus profond découragement; on ne voyait plus les femmes et les jeunes filles prendre leurs ébats dans les eaux des étangs consacrés; sur les marches qui entourent ces piscines révérées, gisaient quelques moribonds abandonnés de leurs proches. Durant le jour, les malades tremblant la fièvre se traînaient hors de leurs demeures pour exhaler leur dernier soupir à la clarté de ce soleil ardent qui semble l’image de la vie; pendant les heures de la nuit, au milieu des ténèbres rendues transparentes par l’éclat des astres, les bêtes fauves se répandaient dans les campagnes, où tout mouvement avait cessé, et poussaient des hurlemens de joie; elles rôdaient autour des bûchers à demi éteints sur lesquels brûlaient lentement des cadavres entassés. Cependant le ciel était d’une sérénité parfaite, les oiseaux aux vives couleurs brillaient comme des fleurs animées sous l’épais feuillage. Au flanc des montagnes, les forêts arrondissaient en dômes azurés leurs robustes troncs gonflés d’une sève surabondante, et les ruisseaux,