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À Tournai, l’émotion publique fut plus vive encore ; on menaça de jeter à l’eau ces apôtres de la liberté, et la municipalité, pour éviter de plus grands désordres, empêcha la réunion qui devait avoir lieu. Il y eut à cette occasion, à la chambre des députés, des interpellations qui servirent à montrer combien le ministère avait le sentiment de sa responsabilité. Sans se prononcer sur les doctrines en cause, il blâma énergiquement les citoyens qui avaient eu si peu de respect pour la liberté de discussion, et désavoua sans hésiter les autorités locales qui, par mesure d’ordre, s’étaient opposées à l’exercice d’un droit formellement reconnu par la constitution du pays. Ces tentatives d’ailleurs, bien loin de nuire aux travaux de l’association, ne firent qu’en accroître la force et l’importance. Parmi les orateurs qui se firent remarquer dans ces discussions, il en est plusieurs qui montrèrent une véritable éloquence ; tels sont MM. Masson, secrétaire de la chambre de commerce de Verviers, Snoeck, fabricant de draps, et plusieurs autres. Ce qui faisait surtout l’originalité de leurs discours, c’est le caractère pratique qu’ils s’attachaient à leur donner. Que pouvait-on répondre par exemple quand ils venaient démontrer que, par l’effet de la protection, la houille belge coûtait plus cher en Belgique même qu’en Hollande, ou quand M. Gouvy, filateur de laine à Verviers, prouvait chiffres eh main que les droits sur les fers surélevaient de 8,700 fr. le prix de ses machines, et que, sous prétexte de favoriser le travail national, on lui imposait ainsi une amende annuelle de 435 francs ?

Cette agitation porta ses fruits ; les chambres de commerce, d’abord ultra-protectionnistes, se mirent peu à peu de la partie, et, par leurs incessantes réclamations, finirent par obtenir du gouvernement des réductions nombreuses, notamment sur les houilles et les fers. Une refonte complète du tarif douanier était même promise quand la France, modifiant sa politique commerciale, entra elle-même dans la voie des réformes. Comme elle y procédait par des traités de commerce, force fut bien à la Belgique de la suivre momentanément sur ce terrain. La suppression des octrois, ces douanes intérieures, si impopulaires partout, peut également être considérée comme une des plus heureuses conséquences de cette agitation.

L’association ne s’en tint pas là[1] , et ses premiers succès lui en firent bientôt ambitionner d’autres. Non contente d’avoir atteint le résultat pour lequel elle s’était constituée dans l’origine, c’est-à-dire la réforme douanière,

  1. Outre le concours qu’ils apportaient à l’œuvre commune, les membres de l’association douanière agissaient encore en quelque sorte chacun pour son propre compte et dans sa sphère particulière. C’est ainsi que M. E. Séve, négociant à Bruxelles, entreprit à ses frais, mais sous les auspices de la chambre de commerce, un voyage en Russie, en Suède, en Norvège et en Danemark, pour y étudier la situation industrielle et commerciale de ces pays. Les renseignemens intéressans qu’il a recueillis ont été publiés dans un ouvrage intitulé le Nord industriel et commercial (3 vol. in-8o, 1862. Bruxelles, Lacroix et compagnie ; — Paris, Guillaumin).