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perdent beaucoup de leur intérêt pour le reste du genre humain.

C’est, il faut en convenir, une assez singulière maison que celle de Mme la comtesse de Simerose. On y entre comme dans un moulin, on en sort comme d’une salle de conversation, on s’y installe et on s’y met à l’aise comme dans une chambre d’hôtel garni. Voilà ce qui peut s’appeler une maison bien tenue et une personne qui a l’intelligence de sa dignité. Des gens qu’elle connaît de la veille, comme M. de Ryons, s’imposent à elle avec une effronterie sans égale, la tyrannisent de leurs conseils, l’insultent de leurs plaisanteries, et il ne lui vient pas un seul instant la pensée de sonner pour qu’on leur ouvre la porte et qu’on les reconduise. Pendant ce troisième acte, par exemple, M. de Ryons joue à cache-cache dans son salon avec M. de Montègre ; quand l’un sort par le cabinet de droite, l’autre entre par le cabinet de gauche. M. de Montègre, l’adorateur platonique accepté, qui est d’un caractère irascible et jaloux, s’irrite de ces allées et venues perpétuelles de M. de Ryons, dans lesquelles il imagine découvrir une trahison, et vraiment, si nous ne pouvons excuser sa colère, nous comprenons son étonnement. M. de Montègre suppose un rival dans M. de Ryons, et il faut avouer que les apparences lui donnent raison. Pourquoi a-t-on négligé de lui apprendre que M. de Ryons était tout simplement le professeur de rébus de madame, et qu’il n’était là que pour lui enseigner l’énigme du wagon de Strasbourg ?

Les deux dernières scènes de ce troisième acte, qui sont les scènes vraiment dramatiques de la comédie, révoltent comme une de ces mystifications qu’inventent parfois ces mauvais plaisans qui s’arrogent le droit de disposer au profit de leur belle humeur de la vie et du bonheur de leurs semblables. M. de. Montègre est un amant sincère, mais impoli, qui aurait besoin de prendre quelques leçons de logique. Il vient d’accepter la combinaison d’amour-amitié inventée par Mme de Simerose. Il a consenti à rester dans les limites d’une adoration respectueuse, il a renoncé aux prétentions ordinaires des amans, et voilà que tout à coup cet homme entre dans une colère sans pareille, comme s’il avait acquis déjà des droits sur Mme de Simerose. Il ne lui vient pas à la pensée de se dire qu’il manque à la première des conditions que lui a imposées Mme de Simerose, c’est-à-dire le respect de sa liberté, que l’amour platonique ne donne aucun des droits de l’amour véritable, et qu’il est en ce moment aussi absurde que mal appris. Cependant la colère de M. de Montègre est le premier châtiment de Mme de Simerose, car ce rêve d’amour platonique qu’elle venait de bâtir s’est évanoui en moins d’un quart d’heure, et il a suffi d’un incident futile pour lui révéler qu’elle se donnait un tyran, lorsqu’elle croyait ne se donner