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Geneix ? Abandonnons à leur nouveau succès, après les avoir salués une dernière fois, ces nobles et sympathiques personnages, et conduisons le lecteur dans le monde beaucoup moins pur où nous appelle M. Dumas. Cette fois toutes les ressources de l’analyse seront nécessaires pour lui faire comprendre les caractères et les sentimens de la nouvelle pièce de l’auteur du Demi-Monde, et nous craignons qu’elles ne soient insuffisantes pour les lui faire goûter.

Une jeune femme du meilleur monde, Mme la comtesse de Simerose, s’est mariée au seul homme qu’elle ait jamais aimé. Cependant, par suite de certains froissemens d’amour-propre que l’auteur nous a expliqués sans que nous ayons réussi à les comprendre, elle s’est dérobée avec obstination à l’accomplissement du devoir conjugal. Excusez ce détail, nous devons chercher à être clair, et la pièce n’est pas facile à raconter. Le mari, indigné des mépris de sa femme, et assez justement s’il ne les comprend pas mieux que nous ne les comprenons, s’est vengé avec une femme de chambre, qui l’a rendu père au bout d’un an, après quoi les deux époux se sont séparés. Voilà donc Mme de Simerose, jeune fille et femme à la fois, qui a trouvé moyen de combiner les inconvéniens du célibat avec les inconvéniens du mariage. Que va-t-elle faire dans cette situation ? Son cœur est vide et inquiet, son âme est honnête ; la nature lui dit d’aimer, le devoir lui conseille la sagesse ; le monde, qui connaît sa position équivoque et périlleuse, lui ordonne la prudence. C’est ici que se présente une idée digne de Marivaux, et dont il aurait suivi les développemens avec cette subtilité précise que vous lui connaissez. À force de rêver aux moyens d’aimer sans manquer à son devoir, d’occuper son cœur sans engager son âme, Mme de Simerose s’est arrêtée à un moyen terme ingénieux, qui lui paraît concilier toutes ces difficultés, l’amour platonique : elle voudrait une amitié qui eût toutes les ardeurs de l’amour et un amour qui eût toutes les chastes réserves de l’amitié. Elle se flatte de pouvoir maintenir cet équilibre impossible de sentimens, et au moment même où elle s’en flatte le plus, elle n’aperçoit pas la bonne nature, qui rit sous cape des tricheries qu’elle médite de lui faire, et qui s’apprête à renverser tout l’édifice de sa casuistique sentimentale. Elle croit avoir trouvé dans un jeune homme qui s’est épris d’elle, M. de Montègre, l’homme qui peut réaliser sa chimère d’amitié qui soit un amour, et elle lui propose hardiment sa combinaison. M. de Montègre accepte avec un empressement fiévreux qui est tout près de la passion physique cette obligation de continence platonique, tandis qu’à demi pâmée Mme de Simerose écoute ses sermens avec un trouble qui est tout près de l’ivresse amoureuse. Ce qu’il y avait de piquant dans cette donnée, c’était de montrer comment la nature allait les déloger peu à peu de cette situation impossible où ils