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Comment d’ailleurs cesserions-nous de nous intéresser à la Crète ? Comment oublierions-nous ces braves gens qui, dans leur simplicité, nous ont fait un soir, de la meilleure foi du monde, une proposition que je ne puis rappeler ici sans sourire ? Nous avions, pendant plusieurs heures, causé avec des chefs sfakiotes ; nous nous étions fait raconter leurs vieilles traditions, leurs combats d’autrefois ; nous avions paru nous associer à leurs douleurs et à leurs espérances, et sans doute notre sympathie les avait émus. Nous les vîmes alors, pendant le repas, causer entre eux à voix basse et se consulter longuement ; puis, quand ils revinrent s’asseoir auprès de nous, notre hôte, le plus âgé de la bande, nous expliqua qu’ils étaient tout prêts pour un soulèvement, que, dans des cavernes qu’ils nous montreraient, ils avaient des dépôts d’armes et de poudre. Si nous voulions nous mettre à leur tête, ils entreraient dès le lendemain en campagne contre Véli-Pacha, et, une fois le Turc chassé, ils nous proclameraient leurs souverains ; nous nous partagerions l’île comme nous l’entendrions, et la France ne pourrait manquer de reconnaître des princes français qui rattacheraient à son influence et placeraient sous son protectorat une si belle province. Tout en les remerciant cordialement, nous eûmes beaucoup de peine à les convaincre que la chose n’était pas aussi facile qu’ils le croyaient, et que le temps était passé de pareilles aventures. C’eût été beau pourtant de porter le sceptre d’Idoménée et d’être les successeurs de Minos, ce mortel « qui causait familièrement avec le grand Jupiter ! »


GEORGE PERROT.