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pour les personnes nées sur ces côtes. Il y a très peu de familles qui n’aient quelques-uns de leurs membres aux antipodes. Un voyage sur terre les ferait reculer, et vous trouvez beaucoup d’habitans de Newlyn ou du Lizard qui n’ont jamais été à Londres ni même dans l’intérieur du comté ; mais la mer est ouverte devant eux, la mer qui a pour ainsi dire mugi autour de leur berceau, et ils se confient volontiers à cette ancienne connaissance. Les femmes obéissent aussi bien que les hommes à ces séductions de l’espace, aux rêves de fortune et de bonheur qui flottent parmi les nuages, derrière les montagnes d’eau. Il y a environ sept années, un pêcheur était parti pour l’Australie à bord d’un vaisseau d’émigrans, laissant dans un des villages de la baie une jeune fille à laquelle il était engagé. N’entendant plus parler de lui et se croyant oubliée, celle-ci amassa quelque argent pour la traversée et alla bravement le rejoindre. À son arrivée, elle apprit que le jeune homme avait bien vécu quelque temps à Victoria, mais qu’il venait de retourner en Angleterre. Le pêcheur avait en effet quitté l’Australie, il revenait avec des intentions de mariage : quel fut son désenchantement quand il découvrit que sa fiancée était encore aussi loin de lui ! L’amour est plus fort que la mer et que les distances : le pêcheur travailla, et avec le fruit de son travail il acquit les moyens de refaire encore le voyage. Cette fois il retrouva sa fiancée, qui s’était mise au service dans une famille riche. Tous les deux tiennent maintenant aux environs de Penzance une petite auberge où je me suis arrêté quelques jours.

Les pêcheurs qui ont pu échapper aux accidens de mer atteignent généralement un grand âge. Les côtes de la Cornouaille offrent, surtout en ce qui regarde les femmes, des exemples très remarquables de longévité. Cette circonstance a été attribuée à la nourriture, qui consiste d’ordinaire en poisson, à une vie dure et active, mais aussi à la douceur du climat. AMousehole vivait Dolly Pentreath[1], une poissonnière (fisherwoman) très célèbre en Cornouaille comme étant la dernière personne qui ait parlé le langage primitif du comté. Elle mourut en 1778, à l’âge de cent deux ans, et fut enterrée dans le cimetière de Saint-Paul, une jolie église qui couronne le sommet ardu d’une verte colline. En dehors du cimetière, et enclavée dans le mur d’enceinte, s’élève une pyramide érigée par le prince Louis-Lucien Bonaparte et par le révérend John Carrett, vicaire de Saint-Paul, en juin 1860. Sur cette pierre, consacrée à la mémoire de Do-rothy Pentreath, il est dit que le dialecte de la Cornouaille (cornish) s’éteignit dans cette paroisse au XVIIIe siècle. Afin de montrer d’ailleurs

  1. Dolly, contraction de Dorothy, Dorothée.