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faisait attendre, et Véli-Pacha ne se décidait point, à quitter La Canée, où sa présence et les menées de ses créatures entretenaient une redoutable agitation. Achmet-Pacha de son côté, malgré sa modération et sa prudence, avait toutes les peines du monde à retenir les passions qui s’exaspéraient de plus en plus, et à prévenir l’explosion redoutée. On respira quand le 12 juillet arriva enfin Sami-Pacha, et surtout quand le lendemain il eut réussi à embarquer, comme par surprise, son malheureux prédécesseur, qui ne pouvait se résoudre à fuir en disgracié, en vaincu, cette terre où, trois ans auparavant, il débarquait triomphalement, annoncé et salué par toutes les fanfares de la renommée.

Les chrétiens, sans tirer un coup de fusil ; avaient obtenu ce qu’ils demandaient, ils avaient même profité de l’occasion pour faire accepter encore plusieurs autres réclamations relatives à l’impôt et à la constitution des conseils provinciaux ou medjilis. L’excellente discipline qu’ils avaient su observer pendant trois mois, sous des chefs improvisés, dans une situation pleine de périls, le soin avec lequel ils avaient su éviter de blesser les commissaires impériaux et de donner aux Turcs le moindre prétexte pour commencer la lutte armée, tout cela faisait honneur à leur sens politique et au tact de leurs capitaines. Aussitôt. Véli parti, ils se dispersèrent, ils retournèrent chez eux faire la moisson et cueillir les olives. On eut plus de peine à renvoyer les Turcs dans leurs villages ; il fallut que l’ancien gouverneur de l’île, Mehemed-Emin-Pacha, alors ministre de la police à Constantinople, vînt aider Sami de ses conseils et de son influence. Ce n’était pas que les Turcs tinssent à Véli et le regrettassent, mais il leur était impossible de ne pas être intérieurement froissés, de ne pas s’inquiéter pour l’avenir de ce nouveau succès des chrétiens, de cette victoire que les Grecs avaient su remporter sans brûler une amorce.

Sous Sami-Pacha, homme avisé et adroit, sous son successeur Ismaïl-Pacha, qui est en ce moment gouverneur-général de Crète, l’île est restée à peu près tranquille. Une petite expédition militaire a été faite en 1863 contre Sfakia, par les ordres du gouverneur, pour punir des actes de brigandage et de rapt dont s’étaient rendus coupables plusieurs Sfakiotes. Dans le bas pays et dans les villes, l’opinion, chez les Grecs eux-mêmes, poussait le pacha à ces mesures de rigueur, et si elle lui faisait un reproche, c’était de trop ménager les Sfakiotes. Ceux-ci, après d’assez longs pourparlers qui donnèrent aux coupables le temps de s’enfuir de l’île, cédèrent, laissèrent traverser leurs défilés et occuper militairement quelques-uns de leurs villages, puis rendirent une partie des objets volés. Sfakia, on ne saurait se le dissimuler, est en pleine décadence. Ces âpres