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il ne doutait point, leur dit-il à plusieurs reprises, qu’ils ne pussent aller au ciel après s’être extérieurement conformés, dans leur vie et dans leur mort, aux exigences de la loi musulmane. — Ce ne fut pas sans peine qu’ils se laissèrent convaincre, et qu’ils se décidèrent à quitter la ville sans avoir fait au pacha la déclaration projetée.

Un des membres les plus remarquables de cette famille fut Hussein-Aga, qui s’était déjà signalé avant la révolution par le rôle brillant qu’il avait joué dans plusieurs des guerres où la Porte se trouva engagée vers le commencement du siècle. Dans la première période de l’insurrection, il se distingua sous son nom chrétien de capitaine Michali Kurmulis. C’était l’archegos ou chef grec de toute la province de Megalo-Kastro, et il mourut à Hydra en 1824. Sa place fut prise par son fils, Riswan-Aga, redevenu le capitaine Démétrios, qui fut tué à Athènes. Son frère, Mustapha-Aga (le capitaine Manolis), succomba un peu, plus tard à Mokho en Crète. De soixante-quatre hommes que comptait la famille en 1821, deux seulement ont survécu à cette lutte meurtrière. On raconte qu’en 1824 trois Kurmulides furent exécutés sous les murs de Retymo par l’ordre du général turc Mustafa-Bey. On leur avait offert de racheter par l’apostasie leur propre vie et la liberté de leurs femmes et de leurs enfans, faits prisonniers en même temps qu’eux ; mais, devant le pacha comme sur le lieu même du supplice et sous le tranchant du glaive, ils avaient rejeté cette offre avec indignation. Pendant trois nuits après l’exécution, l’évêque de Retymo se rendit au lieu où ils avaient été frappés et où leurs restes gisaient encore abandonnés sans sépulture ; chaque fois il vit une flamme, sans doute allumée par Dieu même, descendre et se poser, brillante auréole, sur les corps des saints martyrs. Instruits de ce miracle, les chrétiens enlevèrent et se partagèrent comme des reliques les vêtemens ensanglantés des trois victimes. De précieux avantages. étaient attachés à la possession de ces dépouilles enviées : tombait-on malade, on n’avait qu’à faire brûler dans sa chambre, auprès de son lit, une parcelle de ces tissus sacrés, et l’on revenait aussitôt à la santé.

On le voit, dans cette lutte inégale et opiniâtre que les chrétiens soutinrent pendant plusieurs années contre un ennemi supérieur en nombre et qui se renouvelait sans cesse, ce fut pour eux un efficace et puissant soutien que cet enthousiasme religieux, d’autant plus ardent qu’il discutait et qu’il raisonnait moins. C’était encore une force que ces superstitions mêmes dont la naïveté nous fait presque sourire : elles donnaient à ceux qui combattaient et qui mouraient pour la foi la ferme assurance que le Dieu qu’ils invoquaient