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Megalo-Kastro, émerveillé de tant de valeur et de succès, sollicita de Melidoni la permission de le voir. « Dans quelques jours, répondit le Crétois comme aurait pu le faire un Spartiate du vieux temps, tu seras prisonnier dans ma tente, et tu auras le loisir de me contempler. » Ce ne fut pas une vaine bravade ; bientôt après le pacha devint captif des Grecs. Les exploits de Melidoni lui portèrent malheur ; il périt avant la fin de cette première année, victime de la jalousie que ses triomphes avaient inspirée au farouche capitaine Roussos, le chef des Sfakiotes. Antoine Melidoni était d’un village situé au pied du mont Ida. Après avoir essayé vainement de se défaire de son rival en l’envoyant combattre des forces très supérieures, Roussos, furieux de le voir grandir dans l’opinion des chrétiens à chaque nouvelle rencontre, convia le montagnard à un festin ; celui-ci accepta sans défiance. Insulté par le chef sfakiote, accusé d’ambition et de sourdes menées, Melidoni se justifia en quelques paroles pleines de noblesse adressées aux soldats, et se retira au milieu des acclamations des Sfakiotes eux-mêmes, qui lui promettaient solennellement de combattre et de mourir pour lui. La colère et la haine de Roussos, abandonné des siens, ne connurent plus de bornes ; il feignit de vouloir une réconciliation, et dans l’entrevue il fendit la tête à Melidoni. Ne reconnaît-on pas là ces violentes jalousies, ces vanités passionnées qui éclatèrent sur la flotte et dans l’armée des Grecs avant les batailles de Salamine et de Platée, et qui faillirent si souvent rompre le concert et livrer la Grèce à l’ennemi ?

Un trait curieux, propre, si je ne me trompe, à la Crète, et qu’on ne retrouverait point sur le continent grec, ce fut le rôle que jouèrent dans la guerre de l’indépendance certaines familles converties en apparence, depuis la conquête, au mahométisme, mais restées en secret fidèles de cœur et de pensée à la religion de leurs pères. Aussitôt que parut se présenter l’occasion longtemps attendue d’abattre le croissant et d’affranchir la Crète, elles s’empressèrent d’abjurer une dissimulation qui leur pesait, de revenir publiquement au christianisme, et de verser leur sang pour cette foi qu’elles se reprochaient d’avoir pu renier un moment même du bout des lèvres. La plus célèbre de ces familles dans le souvenir et la reconnaissance des Crétois, c’est celle des Kurmulides, maintenant dépouillée et presque détruite. C’était une riche et vieille maison de nobles ou d’archontes, comme on dit dans les îles, qui avait sa demeure patrimoniale à Kusé, dans la fertile plaine de la Messara, dont elle possédait la plus grande partie. Les chefs du clan, peu de temps après la prise de Candie, avaient feint d’embrasser l’islamisme ; mais en cachette ils continuèrent à baptiser leurs enfans et à leur donner des noms chrétiens. Quand les rites du baptême avaient été