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moyens d’attaque et les rivalités des chefs chrétiens. Pourtant, en 1823, les musulmans ne tenaient plus la campagne et s’étaient d’un bout à l’autre de l’île renfermés dans les forteresses. L’une d’entre elles, Kissamo-Kasteli, avait capitulé après qu’eurent péri, par la famine et par la peste, presque tous les Turcs qui s’y étaient réfugiés avec leurs familles. Déjà même la garnison de Megalo-Kastro parlait de se rendre, et les Grecs étaient sur le point de se trouver ainsi maîtres de la plus forte place de l’île Khania et Retymo auraient sans doute bientôt suivi cet exemple, et la Crète eût été tout entière aux mains des chrétiens. Le sultan semblait hors d’état de continuer la lutte ; les Russes le menaçaient sur le Danube, et, en Grèce ses armées, mal commandées et mal nourries ; harcelées par les klephtes, poursuivies par la peste et les fièvres à travers les déserts qu’elles faisaient devant elles’ et qui les dévoraient, fondaient et disparaissaient l’une après l’autre, comme des boules de neige lancées dans une fournaise ardente. Les chrétiens n’y gagnèrent rien. Le sultan, à bout de forces, appela à son aide et se substitua son puissant vassal le pacha d’Égypte. Méhémet-Ali saisit avec empressement l’occasion que lui offrait la fortune d’essayer son armée, d’aguerrir ses officiers et ses soldats, et surtout de se poser aux yeux de tout l’Orient, en cette heure critique, comme le seul défenseur efficace et le véritable champion de l’islam. Un lieutenant d’Ibrahim-Pacha débarqua donc en Crète avec une flotte qui portait plusieurs régimens égyptiens, soumis à une discipline sévère et dressés par des instructeurs européens. Les places furent débloquées, et les Sfakiotes rejetés dans leurs montagnes, où les suivit une partie de la population de l’île. L’ennemi ne put pénétrer dans la vallée d’Haghia-Roumeli ; mais les familles qui s’y étaient réfugiées manquaient de vivres et souffraient de la disette. Beaucoup de Crétois s’expatrièrent, les autres se soumirent. Quelques tentatives faites pour rallumer la guerre en 1825 et 1826, pendant que les meilleures troupes d’Ibrahim étaient occupées en Morée, n’eurent qu’un succès momentané. La Crète était donc à peu près tranquille quand, malgré les efforts et les sacrifices des chrétiens, malgré la supériorité qu’ils avaient conquise et qu’ils avaient gardée tant que les Turcs avaient été abandonnés à leurs propres forces, le protocole de Londres du 2 février 1830 et les traités, qui en furent la conséquence laissèrent l’île en, dehors du nouveau royaume qu’ils constituaient et la rendirent ainsi à la domination ottomane.

Nulle part plus de sang n’avait coulé, nulle part la lutte n’avait été plus acharnée, plus cruelle, plus implacable qu’en Crète. C’est ce qui me frappait dans les récits auxquels je provoquais mes hôtes ou les paysans que je rencontrais dans les sentiers de la montagne, et qui cheminaient à côté de moi, tout surpris de voir un étranger