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méthode et cette suite que portait dans toute sa politique coloniale le froid et dur génie du gouvernement vénitien ; les Turcs seraient tout au moins des maîtres plus indolens, plus distraits, plus faciles à endormir et à tromper ! En cet état de choses, on comprend que les Grecs candiotes, à part quelques soldats de fortune attachés aux drapeaux de Venise depuis de longues années et retenus par l’appât d’une haute paie, aient comme tendu la main aux Turcs pour les aider à prendre pied dans l’île, qu’ils aient vu sans regret, avec un sentiment même de joie et de secret triomphe, s’éloigner et disparaître à l’horizon la flotte qui emmenait sans retour loin des plages crétoises Morosini et tout ce qui restait de ses héroïques compagnons.

Les Turcs se hâtèrent d’organiser leur conquête, autant du moins qu’ils savaient le faire. L’île fut partagée en quatre pachaliks ou sandjaks, qui furent bientôt réduits à trois par la suppression de celui de Sitia ; les trois pachas, en général à peu près indépendans l’un de l’autre, résidaient l’un à Khania (c’est là le vrai nom grec de la ville appelée par les Vénitiens La Canea), l’autre à Retymo, le troisième à Candie, ou, comme on l’appelle encore en Crète, Megalo-Kastro. Quelquefois un de ces personnages, plus élevé en dignité que les autres, exerçait momentanément sur ses deux collègues une suprématie et un contrôle assez mal définis. Chacun de ces sandjaks contint un certain nombre de grands et de petits fiefs viagers, nommés les uns ziamets et les autres timars. La province de Candie fut censée renfermer 8 grands et 1,400 petits fiefs ; on compta 5 ziamets dans la province de La Canée et 4 dans celle de Retymo, tandis que la première fournissait 800 et la seconde 350 timars[1]. La possession de ces domaines obligeait ceux qui en étaient investis à fournir au Sultan, en cas de guerre, un nombre d’hommes déterminé à l’avance suivant les temps et les provinces.

Les fiefs crétois furent formés sans doute surtout des terrains qui, avant la conquête, faisaient partie du domaine public, ou appartenaient aux nobles vénitiens et au clergé latin. Ils furent distribués à tous ceux des agas et des beys d’Anatolie et de Roumélie qui, après avoir pris part aux dangers et aux longues fatigues du siège, désirèrent se fixer dans l’île, dont ils avaient appris à connaître les ressources et à goûter le climat. Une fois les Vénitiens expulsés, le bruit de cette grande victoire, répandu dans tout l’empire, dut attirer aussi en Crète plus d’un aventurier, plus d’un janissaire ou spahi ruiné par les guerres du Danube et avide de refaire sa fortune en recevant de la munificence du sultan, dans sa nouvelle conquête, des maisons, des oliviers et des terres. Quant à des femmes pour

  1. Finlay, History of Greece under the ottoman and venitian domination, p. 5.